Relations avec les éditeurs, modes de création et droits d’auteur, le numérique change la donne pour les écrivains. Plusieurs auteurs nous expliquent de quelle manière ils appréhendent ces mutations.
Comment appréhendez-vous le livre numérique en tant que lectrice? Lisez-vous sur tablette ?
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J’ai mis du temps avant de lire sur tablette, j’avais des réticences. Mais à présent j’achète et lis souvent les romans français contemporains sur iPad. C’est essentiellement une question de place – on est envahies par les livres, j’achète tellement de conneries que je ne trouve personne autour de moi qui les veuille. Pour ce qui est de lire, je ne fais plus la différence. Au moment d’acheter le livre, c’est très différent – les plateformes e-book sont atroces, et je n’éprouve aucun plaisir à traîner sur Amazon, alors que j’aime vraiment les librairies, j’y passe énormément de temps, j’y vais souvent et j’y trouve toujours des livres improbables et géniaux que je ne cherchais pas du tout. C’est un vrai plaisir d’aller en librairie.
Donc ce que je redoute, c’est la fin de la librairie. La fin des disquaires m’a paru sinistre. La fin du livre papier, je ne sais pas. Il y a quand même quelque chose que le livre a, que n’avaient ni le cd ni le dvd : il reste plus pratique que son équivalent digital. Davantage que la fin du livre papier, je crains les facilités qu’offre le numérique : si on veut censurer une page, on l’efface dans toutes les liseuses. Si on veut retirer un roman, on l’efface dans toutes les liseuses, etc. Enfin le livre digital ne se prête pas. Ne s’offre pas. C’est ce qu’on a fait avec les livres, beaucoup, et c’est aussi comme ça qu’on lisait.
Pensez-vous que dans un environnement tout numérique avec la puissance accrue de grands opérateurs comme Amazon, la littérature exigeante ou en tout cas non formatée trouvera encore sa place ?
Admettons que Kindle, Sony et Apple se partagent le marché des tablettes. Je ne sais pas si ça les dérangera d’accepter quelques « niches », pas forcément. On ne peut pas dire qu’actuellement les textes expérimentaux, la poésie ou les essais exigeants trouvent vraiment leur place non plus… Par contre je pense que ni Kindle ni Sony ni Apple n’ont l’intention de s’emmerder la vie avec des textes qui posent problème. Leur objectif est de vendre de la tablette, pas de défendre la pluralité des opinions, ou la liberté d’expression, et encore moins de se préoccuper de ce qu’a pu représenter « la littérature ». S’ils réussissent à démolir la librairie et les éditeurs, ils publieront des textes qui se vendent, pas des textes qui font débat. Le rapport du numérique à la censure est très différent du rapport qu’on a connu jusqu’alors, dans le livre papier. J’ai tendance à croire qu’ils feront subir aux romans ce à quoi on a déjà assisté avec le cinéma américain : il faudra des livres pour la famille, que toute la famille peut lire.
Pensez-vous que ce support peut modifier votre façon de créer ? Etes-vous tentée de créer des livres enrichis qui incorporent de la vidéo, du son… ?
Un livre enrichi qui incorpore la vidéo et du son, j’aurais tendance à appeler ça un film… en tant que lectrice – mais c’est vrai que j’ai plus de quarante ans donc toute une vie de lectrice d’avant le numérique – je ne veux pas qu’un auteur me mette de la musique, des photos ou des vignettes vidéo, par pitié, non. Quand quelqu’un le fera correctement, et je pense que ça arrivera, ce ne sera plus du roman ou de l’essai. Il faudra trouver un autre nom pour ces formats hybrides. Le roman, c’est de la télépathie pure – tout se passe dans ma tête. Et c’est ce que je cherche quand j’ouvre un livre.
Plus pragmatiquement, vous posez-vous la question de l’exploitation de vos droits numériques?
Oui. Je regrette de ne pas avoir d’agent, et qu’il y en ait si peu en France. Et je regrette qu’on ne se soit jamais constitué en groupes de réflexion ou de pression, ni en tant qu’auteurs, ni en tant que lecteurs. Mais je ne me la pose pas non plus toutes les nuits : le propre du digital, c’est le piratage. Évidemment, dans ma position, je n’y vois pas que des avantages, mais j’y vois quand même beaucoup d’avantages.
Des auteurs américains signent désormais directement avec Amazon et certains observateurs prédisent que le numérique réduira le rôle des éditeurs. Pourriez-vous imaginer vous passer d’éditeur ?
Me passer d’éditeur pour écrire, oui. Travailler directement avec Amazon, quelque chose me dit que la question ne se posera pas. Je pense qu’Amazon se passera de gens comme moi, et qu’ils trouveront à la pelle des auteurs qui n’ont pas envie d’appeler leur livre Baise-moi, mais surtout qui ne se cabreront pas parce qu’on leur indique en rouge dans la marge les passages qu’ils doivent couper pour être publiés. C’est ce qu’a appris internet à toute une génération de jeunes écrivains : la censure, c’est normal, ça n’a même pas à se justifier. C’est ce qu’on apprenait sur MySpace, c’est ce qu’on apprend aujourd’hui sur Facebook : il suffit d’être signalé pour être bloqué.
Et si j’avais l’occasion de travailler directement avec Amazon, quand même ça me gênerait de voir le documentaire qui est passé le mois dernier sur les conditions de travail des équipes d’émigrés en Allemagne. Je ne prends pas le groupe Hachette pour l’amicale des amis d’Evo Morales, mais ils sont encore loin des méthodes d’Amazon.
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