A propos de fantômes, de mode, de mules et de littérature… Une nouvelle promenade littéraire exclusive proposée par l’auteur de Jayne Mansfield 1967 et d’Anthologie des apparitions.
Acheté près de la Sorbonne, un curieux livre édité à Bruxelles en 1926 (Edition de la fondation égyptologique Reine Elisabeth) : Les Statues vivantes – Introduction à l’étude des statues égyptiennes. Belle couverture tabac qui m’évoque l’érudition ancienne, typographie et sceau aux armes d’Elisabeth, la femme d’Albert Ier… Le sujet : les statuettes qu’on enfermait dans les tombeaux près des morts pour contenir leurs fantômes… Extravagante préface de l’égyptologue à barbe blanche Jean Capart qui me confirme dans la haute idée que je me fais des Belges.
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Certains livres sont des tombeaux égyptiens qui retiennent ainsi des ombres parfois néfastes… D’autres ne sont qu’un amas de caractères imprimés au jet d’encre, tel le second bouquin trouvé dans une librairie voisine de la première, Les Cygnes de la Cinquième Avenue de Melanie Benjamin. Il y est question de beaucoup de déesses mortes (Babe Paley, Slim Keith, Gloria Guinness, Pamela Harriman, CZ Guest… les “cygnes” de Truman Capote), mais aucune de ces ombres autrefois célèbres n’est contenue dans ce petit roman sans âme. Rien… le vide.
En secouant le Livre de Poche, une seule chose tombe, une minuscule information que je range dans ma boîte à souvenirs : Babe Paley portait un dentier depuis l’âge de 20 ans à la suite d’un accident de voiture. Dentier qui la faisait souffrir au point qu’elle ne pouvait manger une pomme. Ce détail est plus juste qu’un autre : un grelot qu’elle coud dans l’ourlet de sa robe… souligné par un affreux battement de main de l’affreux gnome de dessin animé que cette madame Benjamin ose appeler Truman Capote.
”Je tremble pour l’auteur si elle croise Truman Capote dans l’autre monde”
Sinon, c’est mauvais : l’auteur fait parler Capote, Paley ou Diana Vreeland comme un dialoguiste de Netflix. La mode et les femmes à la mode ne résistent pas à ce genre de traitement. Cette pauvre Marella Agnelli née princesse Caracciolo est traitée par notre béotienne d’Indianapolis comme une macaroni (sans doute faute de documentation). Je tremble pour l’auteur si elle croise Capote dans l’autre monde… Déjà que Vreeland m’a toujours semblée un peu toc, mais peinte par madame Benjamin, c’est le pompon.
A propos de pompons et de grelots, je pense aux mules espagnoles décrites par Gautier (Théophile) dans son sublime Voyage en Espagne. Ces mules plus raffinées qu’Oriane de Guermantes, je les ai retrouvées intactes grâce à William Beckford il y a deux mois chez Boulinier (l’ancienne librairie L’Equipement de la pensée, en haut des marches à Strasbourg-Saint-Denis) dans le Journal Intime au Portugal et en Espagne, édité en 1986 par José Corti. Rien lu de meilleur depuis longtemps.
L’histoire du journal est la suivante : chassé d’Angleterre parce qu’il est tombé amoureux d’un garçonnet de 11 ans (Lord Courtenay, fils du vieux comte de Devon et d’une barmaid), Beckford cherche à rejoindre la Jamaïque et les cannes à sucre familiales.
William Beckford, tel Dracula, se trimbale avec ses malles, ses meubles, ses névroses
Atteint du mal de mer, il fait escale à Lisbonne où il prend racine et décide de séduire, sous l’emprise d’une lubie narcissique, la noblesse ultraréactionnaire, catholique et dégénée de cet empire pourrissant… (l’Espagne peinte par Goya ressemble à une république calviniste à côté de la Lisbonne d’après le tremblement de terre…)
Descriptions de jardins, de palais abandonnés, intrigues ratées dignes de Saint-Simon, où le diable anglais (modèle original de Byron, Baudelaire, Aleister Crowley et tutti quanti) essaye de se faire passer pour une grenouille de bénitier… Tel Dracula, il se trimbale avec ses malles, ses meubles, ses névroses. Ce journal est un ouvrage de fou absolument tordu, tortueux, esthétique, merveilleux, plein de sautes d’humeur, de passages pédérastiques, de tendresses vraies, de falbalas jésuites et de cris de rage.
J’en reviens à la mode… Aux franfreluches, aux jolies broderies littéraires. Le plus artiste, c’est Gautier… Les poésies, les romans, la moindre nouvelle, le moindre joujou littéraire créé par ces mains-là contiennent l’essence française de l’élégance. Baudelaire ne s’y était pas trompé en lui dédiant Les Fleurs du mal. A côté, Proust en fait des tonnes, c’est un peu visible… Même le ruban de couleur cousu sous la robe d’Odette…
Bof. Les chaussures rouges d’Oriane ne valent qu’en contrepoint de la maladie de Swann… J’aime le monocle de Saint-Loup mais j’aime surtout Saint-Loup, plus que Proust. Après tout, on a le droit de préférer les personnages aux romanciers, on invite bien certains enfants chez soi sans leurs parents.
D’Apollinaire à Fargue, il n’y a qu’un pas
Ce que je préfère dans la mode, c’est qu’elle ne lit pas. Reverdy me paraît presque louche à cause de Chanel… et Chanel à cause de Morand. La mode et la littérature font bon ménage tant qu’elles s’ignorent mutuellement. J’en reviens à madame Benjamin (Les Cygnes…), les passages les plus mornes concernent les descriptions de robe, on touche le fond. Je n’arrive plus à me rappeler où j’ai lu au contraire une très belle descriptionde vêtement…
Etait-ce la poupée que Marie-Antoinette avait fabriquée pour ses enfants à la prison du Temple, décrite par Lenôtre ? Non… C’est une lecture plus récente. Oui… Apollinaire, Alcools… L’une des strophes du poème 1909, description d’une robe de chez Poiret :
La dame en robe d’ottoman violine
Et en tunique brodée d’or
Décolettée en rond
Promenait ses boucles
Et traînait ses petits souliers à boucles
D’Apollinaire à Fargue (Léon-Paul), il n’y a qu’un pas. Qui lit Fargue ? Moi, mais très peu, j’ai du mal avec sa fantaisie… Certains articles écrits à la hâte rendent pourtant un son charmant. Presque aussi charmant que ce qui reste la merveille des merveilles, la préface aux Poèmes d’Henry J.-M. Levet et, pour en revenir aux animaux, les guenons baguées de l’escadre fantôme de l’amiral Rojdestvensky…
Dommage que Melanie ait calé avant de décrire le buisson et l’organe viril de l’auteur d’In Cold Blood
A relire la préface en question – une conversation en voiture entre Fargue et Larbaud –, je me rends compte que les guenons ne portent pas de bijoux. Elles sont juste dressées à faire l’amour. Pourquoi ai-je inventé ces bagues ? Pour oublier l’odeur sexuelle des guenons ? Possible… Je repense au passage le plus osé des Cygnes… si au moins l’auteur savait l’écrire : une scène de lit entre Truman Capote (ou plutôt la marionnette mal animée que madame Benjamin surnomme Truman Capote) et Babe Paley.
Le moment où TC et la femme trophée sont au bord de faire l’amour. Dans la vulgarité, c’est presque réussi. Elle n’a quand même pas osé décrire l’entrejambe de TC… effleuré par le cygne au dentier… Pris par on ne sait quelle pudeur de mijaurée, l’ingénue d’Indianapolis s’arrête juste avant. Pourtant, elle s’était bien installée dans les draps de madame CBS, cette Babe Paley que j’ai pu confondre à l’époque où j’étais jeune et idiot avec la sœur de Natacha Paley… Confondant les Romanoff avec les clients de Romanoff’s… Dommage que Melanie ait calé avant de décrire le buisson et l’organe viril de l’auteur d’In Cold Blood, j’en connais en enfer qui auraient grincé des dents.
Les Cygnes de la Cinquième Avenue de Melanie Benjamin (Livre de Poche)
Lire un extrait
De la mode de Léon-Paul Fargue (Editions de Paris Max Chaleil)
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