Reprise en deux volumes des critiques littéraires de Jean Paulhan, directeur de la NRF de 1925 à 1968, excepté durant l’Occupation. Un regard sur la littérature en train de se faire.
Jean Paulhan pouvait être direct : “Le défaut du livre est qu’on ne voit pas pourquoi Céline Rott en écrirait un second. Ou son mérite.” Et à propos de Roland Barthes : “Qu’il ne vienne pas nous la faire avec la persécution.” Il savait aussi se montrer admiratif. “C’est un roman de grande classe”, écrit-il à propos de L’Etranger.
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Jean Paulhan, écrivain, essayiste et éditeur chez Gallimard, a dès 1919 collaboré à la toute jeune NRF, qu’il a dirigée de 1925 à 1940, puis de 1953 (lorsque la revue reparaît après guerre) jusqu’à sa mort en 1968. Aussi, à l’intérieur de ses œuvres complètes, les deux tomes consacrés à son travail de critique constituent un ensemble monumental. Ici défile la vie littéraire française avec ses bonheurs et ses polémiques, et transparaît le cœur de la pensée de Paulhan, son intérêt sincère et empathique pour la création.
Un immense éclectisme
La plupart des textes rassemblés sont des critiques parues dans la NRF, mais pas seulement, et toutes ne sont pas là. On peut a priori regretter le choix de l’éditeur de les avoir classées non pas chronologiquement mais par ordre alphabétique. Le recueil se consulte comme une sorte de dictionnaire d’auteurs, un parcours chronologique aurait permis d’analyser la progressive importance de certains écrivains au sein du paysage littéraire hexagonal.
Cela dit, le classement rend hommage à l’éclectisme de Paulhan qui semble s’intéresser à tout et il est pleinement revendiqué dans la préface par Bernard Baillaud, qui en dirigeant l’édition s’est refusé à faire “une histoire de la littérature vue par Jean Paulhan”. En tout cas, ces volumes permettent de mesurer la vitalité du monde littéraire parisien et laissent entrevoir l’ombre des années d’Occupation sur la vie intellectuelle française.
Paulhan témoigne de la littérature en train de se faire et semble être à la tête d’une pépinière d’auteurs qu’il couve et observe
Peu à peu s’élabore le portrait d’un homme indépendant, complexe. Fondateur de la revue Résistance, il tente, au suicide du collaborationniste Drieu la Rochelle qui l’avait remplacé à la direction de la NRF durant la guerre, de “voir par ses yeux” pour expliquer son geste. Surtout, au-delà des hommages, des coups de cœur et des énervements, au fil des pages on a l’impression d’assister à une master class. Paulhan témoigne de la littérature en train de se faire et semble être à la tête d’une pépinière d’auteurs qu’il couve et observe.
L’auteur des Fleurs de Tarbes ou La Terreur dans les lettres ne commente les romans que pour mieux réfléchir à ce qu’est l’écriture. Ainsi à propos de Charles-Albert Cingria : “Il me semble que c’est exactement ça, la littérature : On n’écrit pas pour être élégant ou spirituel. On n’écrit pas pour avoir des raisons. Ni même pour avoir raison ; ni pour donner un aspect plausible à des thèses évidemment fausses. On écrit pour savoir la vérité, et la garder quand on l’a sue. On écrit pour être sauvé.”
La préface d‘Histoire d’O
Les critiques prouvent surtout la capacité de Paulhan à être à l’affût de la modernité, comme lorsqu’il applaudit la sortie du Voyeur d’Alain Robbe-Grillet : “Tout est nouveau dans ce livre.” Dans un petit essai sur l’intellectuel anarchiste Félix Fénéon, Paulhan précise sa conception de ce que doit être la critique, et avec une certaine vigueur : “Je voudrais simplement risquer ceci : c’est que le rôle du critique pourrait bien être de critiquer. Et ceci encore, qui s’ensuit : c’est qu’entre les critiques il est permis de préférer à qui découvre aujourd’hui La Fontaine ou Eschyle, celui qui sait mettre à leur juste place Rimbaud du vivant de Rimbaud, Joyce avant sa mort et Gide tant que Gide est là. Bref, le critique du temps présent au critique du passé : comme étant plus hardi et plus créateur – comme étant aussi plus critique.” Et l’occurrence, la plus intéressante est peut-être celle de Paulhan lui-même. Là sont rassemblés des entretiens où l’auteur revient sur sa jeunesse et la naissance de son intérêt pour le langage et les livres. Et aussi son intransigeance : “Je dis tout ce que je pense.”
Enfin, on trouve ici la préface de Paulhan au mythique Histoire d’O, de Pauline Réage, livre érotique qui fit scandale. Pauline Réage était en fait le pseudonyme de Dominique Aury, sa compagne. Cette préface, intitulée “Le bonheur dans l’esclavage”, peut être lue aujourd’hui comme un texte qui lui était d’abord destiné : “C’est ainsi qu’elle parle. Moi, je l’écoute et je vois bien qu’elle ne ment pas. Je tâche de la suivre.”
Œuvres complètes, tome IV – Critique littéraire, I (Gallimard), 784 pages, 39,50 €
Œuvres complètes, tome V – Critique littéraire, II (Gallimard), 784 pages, 39,50 €
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