A l’égal du critique littéraire, l’écrivain travaille seul et accumule quelques snobismes qui lui donneront l’illusion d’appartenir encore à ce bas monde.
On passait dernièrement en revue les snobismes du critique littéraire, ce pauvre hère qui voue sa vie à parler des autres et ne se venge qu’en étant snob. Or, il se trouve que tous les autres maillons de la « chaîne du livre », si l’on peut dire, ont leurs petits snobismes.
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Par exemple, le libraire. Le principal snobisme du libraire est de se croire « pur » par rapport au critique, qui serait forcément arrosé de sommes astronomiques par les éditeurs. Alors que le libraire, c’est bien connu, ne gagne rien à vendre des livres. C’est ainsi que, fort de sa pureté, le libraire s’immisce dans les émissions télé pour jouer au critique littéraire : son avis est « vrai », lui.
Quant à l’éditeur, c’est un passionné de littérature qui se décarcasse pour publier ses choix. Pourtant, lui aussi a un petit snobisme : se plaindre, dire que plus rien ne se vend, que c’est la catastrophe – alors qu’il vit dans 200 m2 au centre de Paris pendant que le critique littéraire silencieux ne parvient toujours pas à quitter son 25 m2 à Marx Dormoy.
Mais de tous, c’est peut-être l’écrivain qui, à l’égal du critique, accumule le plus de snobismes. Lui aussi travaille seul, et a dès lors besoin d’être un peu snob pour se donner l’impression de faire encore partie de ce bas monde.
Snobisme n° 1 : il écrit
Ce qui est bien normal. En fait, son snobisme consiste à le clamer. Vous rencontrez un écrivain dans la rue, et à la question « Ça va ? », il répond aussitôt « J’écris, j’écris, j’écris… » D’ailleurs, posez-lui n’importe quelle question, demandez-lui l’heure par exemple, il adaptera : « En ce moment, j’écris. » Le pire étant l’écrivain en herbe qui n’a rien publié mais vous tanne depuis trois ans avec son premier roman qu’il est en train d’écrire. Un peu présomptueux, mais rassurant sans doute dans une société où tout le monde écrit, où c’est du dernier chic. Enfin, l’agonie suprême : le people qui se vante à longueur d’entretiens qu’il écrit un roman. On s’en fout, non ?
Snobisme n° 2 : le Flore
Le café de Flore ou la Closerie des Lilas, ou n’importe quel autre lieu dit « littéraire » dans n’importe quelle ville. Le snobisme de l’écrivain, c’est de ne fréquenter que les lieux où vont les écrivains pour se donner la certitude qu’il en est un, d’écrivain.
Snobisme n° 3 : sa fausse solitude
Il est tellement seul quand il écrit, il souffre, il se rend seul et souffrant aux cocktails de son éditeur. Faux : l’écrivain que vous imaginiez sauvage, asocial, voire misanthrope, a en fait une femme (ou un mari), trois enfants, un poisson rouge, une Volvo, une maison de campagne. Sa femme est « exceptionnelle » (comprendre : elle règle les factures) et, pour la remercier, il la fera apparaître dans ses romans en divinité grecque. Ecrire en rebelle mais vivre en bourgeois, disait à peu près Flaubert.
Snobisme n° 4 : Michel Houellebecq
C’est le seul de ses contemporains devant lequel il s’incline (il a trop de succès, il serait suspect de le dénigrer), mais il attend toujours un an avant de lire son dernier livre, pour se faire une idée « hors du foin médiatique ».
Snobisme n° 5 : ses amis écrivains
Hormis Houellebecq, l’écrivain n’est pas compliqué, il n’aime en fait d’autres écrivains vivants que ses amis ou les auteurs qui l’ont aidé, même s’il s’agit des plus médiocres littérateurs – sinon, en règle générale, il préfère les morts, Cervantes par exemple. Il les défendra bec et ongles contre Philip Roth ou n’importe quel grand Américain, toujours « un peu surfait » à son goût. De toute façon, il préférera toujours se relire lui-même avant de s’endormir.
Nelly Kaprièlian
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