Leïla Slimani a fait une entrée remarquée en littérature avec son premier roman, Dans le Jardin de l’Ogre, en 2014. Deux ans plus tard, elle obtient le prix Goncourt pour Chanson douce. Elle a également signé l’essai Sexe et mensonges – La vie sexuelle au Maroc.
En quoi les années 2010 t’ont-elles changée ?
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Les années 2010 ont radicalement changé ma vie. En dix ans, j’ai eu deux enfants, mon livre Chanson douce a obtenu le prix Goncourt, j’ai voyagé dans le monde entier, mené des combats qui me tenaient à cœur depuis toujours pour les femmes et les homosexuel.le.s au Maroc.
J’ai publié mon premier roman en 2014, je publierai le prochain en 2020. En six ans, il me semble que j’ai acquis à la fois de l’expérience et une certaine sérénité dans mon écriture. C’est toujours dur, je suis encore pleine de doutes et persuadée d’être dans l’imposture, mais j’ai appris à prendre du plaisir en écrivant, à m’abandonner totalement à la magie que procure l’écriture romanesque. J’aime plus que jamais ce drôle de métier.
Que retiens-tu des années 2010 ?
Pour moi, les années 2010 sont celles de la radicalité, des révolutions. Elles s’ouvrent avec les révolutions arabes, sans doute l’événement politique qui m’a le plus marqué dans ma vie. Paradoxalement, le monde arabo-musulman, que l’on associe aux conflits, au conservatisme et à une vision rigoriste de l’islam, est aussi une des parties du monde où la jeunesse a manifesté avec le plus de panache son désir de liberté et de démocratie. Egypte, Tunisie, maintenant Algérie et Liban. La radicalité est partout : chez Trump et Bolsonaro mais aussi chez ces jeunes du monde entier qui appellent à la fin d’un système destructeur de la nature. Partout on demande un changement radical et on voit s’effondrer, jusque chez nous, les logiciels anciens.
Comment envisages-tu les années 2020 ?
Ce que les années 2010 m’ont appris, c’est justement qu’on ne peut rien prévoir. Qui aurait imaginé les révolutions arabes, Trump, des attentats au cœur de Paris ? Le pire peut arriver mais aussi le meilleur et nous sommes bien démuni.e.s pour les imaginer. Il me semble que le principal changement concernera notre mode de vie, nos façons de consommer, de produire. Nous délaisserons peut-être la fièvre de l’“avoir” pour autre chose. Mais je crois que j’ai lu Dostoïevski trop tôt et trop longtemps pour ignorer que le mal fait partie de la nature humaine et que nos destins sont travaillés par des forces bien sombres. Je souhaite être encore en vie pour voir les femmes de mon pays et celles de tous les autres pays jouir des mêmes droits que les hommes, vivre leur vie comme elles l’entendent et disposer de leur corps. Ce serait la plus extraordinaire des révolutions.
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