Après le tonitruant Nino dans la nuit écrit avec sa compagne Capucine, Simon Johannin revient à la poésie en solo, sublimant les ombres, les cicatrices et les marges.
C’est en vers libres que tout a commencé pour Simon Johannin. Avant L’Eté des charognes (2017) et Nino dans la nuit (2019). Avant la fiction stroboscopique et le statut de héraut de la jeunesse périphérique. Avant tout ça, pour l’immense garçon à la boule à zéro et boucle d’oreille, il y avait déjà la poésie. Dès 2016, à peine sorti des études, Johannin livrait L’Immobile, recueil de douze pages en microédition belge.
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Des premiers poèmes pour “trouver des raisons valables à certains dangers, prouver par l’écriture que la vie était là, que quelque chose s’était passé, faire surgir des richesses”. Fulgurances sans contraintes nées “dans l’adrénaline des instants, ou juste après coup”. Une façon “de sauver les meubles, de saisir à tout prix un peu de beau là où ça n’était pas forcément évident d’en voir”. Comme la matrice du romanesque à venir.
Aujourd’hui que le quotidien du jeune homme presque rangé “n’est plus l’explosion d’expériences de toutes sortes qu’était l’adolescence, la poésie est devenue cette recherche des traces, de ce qui provoque encore des années après les mêmes émotions pures. Le sauvetage de matières invisibles et précieuses, volatiles, pouvant disparaître à chaque instant”, nous confie-t-il.
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Une invitation à rejoindre la valse sur macadam
Dans Nous sommes maintenant nos êtres chers, tout juste sorti du four, le poète resitue ses sensations et souvenirs, convoque à la ligne les âmes damnées des années troubles. Les puristes y retrouveront “ceux qui dansent et ce que la faim fait au regard, la chaleur étouffante de certaines nuits et les lumières qui maquillent la peine”.
Aréopage sublimé de filles en robe verte à qui l’on cueille “des fleurs et des médicaments”, de spadassins albanais à “l’estomac dans un sac plastique”, d’édentés lacérés qui boivent la vodka au bouchon. Les vers comme une invitation à rejoindre la valse sur macadam des amours bouées, des collisions nocturnes et des fugues stupéfiantes. “Comme une histoire qui n’en est pas tout à fait une.”
“Pour que le poème soit bon, il faut qu’il n’y ait pas un mot qui puisse être changé par un autre, que l’ensemble forme une alchimie” Simon Johannin
Ici, pas de contrainte. Tout y est libre, fluide, traversant. La ponctuation, comme le format, comme le rythme. Johannin revendique “une forme très naïve” de poésie, il n’a “pas de règles en tête, connaît d’ailleurs très mal les règles de la poésie dite classique”. Il a en revanche “beaucoup d’exigences”. “Pour que le poème soit bon, il faut qu’il n’y ait pas un mot qui puisse être changé par un autre, que l’ensemble forme une alchimie faisant naître une image impossible à appeler autrement.”
Fasciné par les romantiques anglais – Byron, Shelley, Keats, Coleridge – dont les vies “lui plaisent autant que les œuvres”, Simon Johannin voit la poésie comme “l’autre côté du langage, le côté magique et instable, un peu dangereux”. Alors versifier l’apaise. “C’est comme être nu, voire ne plus exister charnellement. L’écriture romanesque est viscérale, matérielle, elle est un déguisement, une parade plus ou moins réussie. La poésie, c’est le chemin inverse. Si j’enlève tout, qu’est-ce qu’il me reste ?” La grâce, sans doute.
Nous sommes maintenant nos êtres chers (Allia), 96 p., 9 €
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