A partir d’un scandale pédophile, l’écrivain italien Antonio Scurati déconstruit la fascination qu’exercent les faits divers. Un roman puissant et nihiliste.
Le meurtre d’Edouard Stern, l’affaire Dupont de Ligonnès, le scandale DSK. Ces histoires révulsent, terrifient et fascinent. Parce qu’ils font basculer le réel du côté de la fiction, les faits divers offrent aux écrivains un condensé de passions humaines à triturer, une matière première à façonner en objet littéraire. La littérature a toujours puisé dans ce creuset à la fois fangeux et sublime. Avec son deuxième roman, L’enfant qui rêvait de la fin du monde, l’écrivain et journaliste italien Antonio Scurati, auteur d’essais sur la violence, s’expose lui aussi à « la splendeur sinistre du fait divers ».
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En 2007, Bergame devient le théâtre d’un scandale pédophile, impliquant à la fois des ecclésiastiques et des institutrices. Le narrateur, un universitaire qui collabore ponctuellement à La Stampa, s’y retrouve mêlé malgré lui. Puissant, profondément troublant, le livre de Scurati se lit comme un thriller philosophique et politique, hanté par des images sacrificielles : les pigeons abattus par la grêle, un chat amputé, les taches de sang sur le linge de corps d’une fillette.
A travers ce récit aux confins du sordide et du voyeurisme, l’auteur, qui use et abuse de la métaphore de la peste, fait le tableau, sombre, de l’Italie contemporaine, gangrenée par un racisme rampant, nécrosée par la violence sexuelle : prostitution encadrée par les élites du pays, machisme viscéral, pédophilie…
Il déconstruit également la mécanique d’emballement que génère le fait divers, spirale incontrôlable de rumeurs, hystérie collective, théories du complot : « Dès lors, quoi que vous disiez, la suggestion collective d’une abjection morale universelle supposée s’élargirait de toute façon en ondes concentriques à partir d’un centre vide. »
Et c’est vers ce centre, ce trou noir, que tend tout le roman. Scurati, qui s’est inspiré de plusieurs histoires vraies, livre une réflexion abrupte et perturbante, presque nihiliste, sur l’attrait irrépressible suscité par l’horreur. Selon lui, « l’exemplarité supposée de la tragédie », avec son pouvoir cathartique, n’est qu’un alibi pour expliquer cette fascination. « Si ces faits à première vue sanglants et éphémères, hypnotiques mais vides de tout sens et de tout avenir, le restaient à un deuxième examen, à un troisième, à un quatrième, et pour les siècles des siècles ? » L’attrait du vide, jusqu’au vertige.
Elisabeth Philippe
L’enfant qui rêvait de la fin du monde (Flammarion), traduit de l’italien par Dominique Vittoz, 302 pages, 21 euros
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