Vingt ans avant Mona Chollet, Françoise d’Eaubonne s’intéressait au sort des “sorcières”, ou comment un féminicide de masse eut lieu dans l’histoire. Enfin réédité cette semaine, “Le Sexocide des sorcières” est à (re)découvrir d’urgence.
Morte en 2005 dans une certaine indifférence, Françoise d’Eaubonne connaît actuellement un formidable retour en grâce. À la faveur d’un intérêt renouvelé pour les textes féministes des années 1970 et 1980, elle est celle dont les jeunes militantes se confient le nom, comme un secret trop bien gardé dont elles auraient été jusqu’ici privées. Peu connue, ou plutôt un peu trop vite oubliée, d’Eaubonne est pourtant celle qui a inventé le terme “écoféminisme” qui fait désormais florès, dans la rue comme dans les pages des journaux.
Si l’écrivaine, née en 1920, plaît autant c’est parce qu’elle a été en avance sur son temps. La formule, sûrement, paraîtra galvaudée, mais difficile de ne pas l’utiliser tant elle semble s’appliquer à cet esprit fougueux et prolixe (plus d’une centaine de textes publiés, tout de même, mêlant romans, poésie, biographies, science-fiction et essais). Dès 1978, Françoise d’Eaubonne lance le mouvement Écologie-Féminisme. Un four, mais ses idées essaimeront de l’autre côté de l’Atlantique, avant de trouver une terre plus fertile dans la France des années 2020. Auparavant, cette grande admiratrice de Simone de Beauvoir a milité avec ferveur contre la guerre d’Algérie dans les années 1960, s’est investie dans le MLF des années 1970, a contribué à fonder le Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR), elle qui était pourtant tout à fait hétéro…
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Chasse aux sorcières
Alors, la figure fascine. La journaliste Élise Thiébaut lui a récemment consacré une biographie (L’Amazone verte, Éd. Charleston), un documentaire est à venir cette année sur France 3 et plusieurs éditeurs (Julliard, PUF, les éditions des femmes, Le Passager Clandestin) s’empressent, depuis 2019, de rééditer ses textes. La maison Au Diable Vauvert a, elle, choisi Le Sexocide des sorcières (initialement publié en 1999), pour inaugurer sa collection “Nouvelles Lunes”, dirigée par Élise Thiébaut (et doublée d’une newsletter “féministe, queer, rebelle, écologique”). Françoise d’Eaubonne a 79 ans quand elle publie le texte, quelques années avant les travaux de Silvia Federici (Caliban et la sorcière) et 20 ans avant le best-seller de Mona Chollet, Sorcières, La puissance invaincue des femmes. L’essayiste libertaire y analyse, sous un angle féministe, cette épidémie meurtrière qui a vu, du XVe au XVIIe siècle, des dizaines de milliers de personnes être torturées et tuées pour “sorcellerie”. Les victimes, insiste d’Eaubonne, étaient en très grande majorité des femmes.
Or, si on a pu “étudier la formation d’une mentalité propre à accepter la réalité d’un massacre racial” pour analyser, par exemple, l’antisémitisme, une telle méthodologie n’a jamais été appliquée à la “chasse aux sorcières”, regrette la romancière. “Personne n’a été jusqu’à récapituler le dénigrement, l’insulte, l’accusation permanente du sexe féminin depuis le monde chrétien de Constantin et tout le long du Moyen Âge jusqu’à ce XVe siècle qui semblait amorcer une remise en question du rapport entre sexes.” Dans ce texte bref et efficace, l’autrice du Féminisme ou la mort se penche donc sur la manière dont l’antiquité et la religion ont nourri une longue tradition de haine des femmes, et invente au passage ce nouveau mot de “sexocide” pour caractériser les meurtres de masse basés sur le sexe.
Le Sexocide des sorcières, de Françoise d’ Eaubonne Au Diable Vauvert/Collection Nouvelles Lunes. 80 pages, 12€. Sortie le 9 mars
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