Francis Scott Fitzgerald, Raymond Chandler et William Faulkner y ont côtoyé Charlie Chaplin ou Greta Garbo. Musso and Frank est l’un des derniers restaurants iconiques de Los Angeles à être encore ouvert.
Le Brown Derby, le Mocambo, Ciro’s, Chasen et tant d’autres clubs et restaurants qui furent fréquentés par les stars de Hollywood, ses producteurs et ses scénaristes, ont fermé depuis longtemps. Même le drugstore Schwab’s, situé au 8024 Sunset Boulevard, où se croisèrent nombre de ceux qui faisaient le cinéma des années 1930 à 1950, a fermé ses portes en octobre 1983, pour être détruit trois ans plus tard.
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Immortalisé par Billy Wilder dans son film Sunset Boulevard (1950), ce drugstore, où l’on pouvait aussi bien acheter des cigarettes que dîner d’un hamburger, est décrit par le héros du film, le scénariste raté Joe Gillis (William Holden), comme le QG des scénaristes.
On peut imaginer que s’il avait connu un autre destin, s’il avait réussi à Hollywood au lieu de finir dans la piscine de Norma Desmond (Gloria Swanson) avec trois balles dans le corps, Gillis aurait fréquenté le prestigieux restaurant Musso and Frank, où il aurait pu croiser un autre scénariste hollywoodien désabusé, l’écrivain Francis Scott Fitzgerald.
Le lieu le plus fréquenté par les stars de cinéma
Ouvert en 1919 par l’homme d’affaires Jean Toulet, vite rejoint par le restaurateur Joseph Musso et le chef français Jean Rue, Frank and Musso, situé au 6667 Hollywood Boulevard, devint rapidement le lieu le plus fréquenté par les stars de cinéma : Charlie Chaplin y déjeunait régulièrement avec Mary Pickford, Douglas Fairbanks et Rudolph Valentino dans les boxes aux banquettes en cuir rouge, et Greta Garbo y a partagé ses Flannel cakes (ces crêpes à la finesse et la légèreté aériennes) et son café avec Gary Cooper.
Il paraît que nombre de deals y furent effectués, nombre de films montés. Mais c’est dans sa « back room » que les écrivains les plus mythiques se réfugiaient, tard dans la nuit, pour boire des martinis et écrire à la lumière chaude de ses lustres en forme de chandeliers. C’est là que Fitzgerald, alors scénariste à Hollywood (il en tira le sujet de son dernier roman, inachevé, Le Dernier Nabab) y relisait et corrigeait les épreuves de ses livres.
William Faulkner était tellement ami avec les barmen qu’ils le laissaient se glisser derrière le bar pour y mixer ses propres Mint Juleps – c’est aussi là qu’il aurait rencontré sa maîtresse, âgée de 20 ans. T.S Elliot, Dorothy Parker, Aldous Huxley, William Saroyan furent, eux aussi, des fidèles de Musso and Frank, mais c’est le grand Raymond Chandler qui l’immortalisa dans deux romans, Le Grand Sommeil (qu’il écrivit en partie dans sa back room), et The Long Good Bye, où il fait simplement dire à Philip Marlowe, comme un vieil habitué : “Nous allâmes dîner chez Musso vers cinq heures et demie, sans boire une goutte.”
Aujourd’hui, Musso est bondé, sombre, et sent le graillon
Quelques années plus tard, c’est une nouvelle scène littéraire qui envahit Musso and Frank, les Joseph Heller, Charles Bukowski et Kurt Vonnegut. Si le restaurant existe toujours dans un décor resté intact – murs couverts de lattes de bois acajou, banquettes en en cuir rouge sombre et tables de bois, lustres en formes de chandelier aux abat-jours ambrés, la back room où buvaient et écrivaient les auteurs les plus cultes de L.A. a fermé, et le bar a été déplacé dans la nouvelle salle, la seule à avoir des fenêtres.
Aujourd’hui, si on pénètre chez Musso vers 19 h, c’est d’abord l’odeur de viande grillée qui nous assaille, puis la vue de steaks aussi épais que le bras dans les assiettes d’une myriade de touristes, qui dînent même le long du bar tant le restaurant est plein à craquer. Bref, Musso est bondé, sombre, et sent le graillon. Le genre de restaurants trop présents dans les guides touristiques du monde entier pour pouvoir encore attirer la faune hollywoodienne et les écrivains.
James Ellroy lui a préféré depuis longtemps le Pacific Dining Car, et Richard Lange ne jure que par les bars de son quartier, Echo Park, devenu l’un des hauts lieux de la “hipstersphere”. Ce secteur de Hollywood Boulevard a lui aussi changé, devenant une sorte de mont Saint-Michel ou de place du Tertre pour touristes : Musso se trouve à deux pas du Hollywood Wax Museum (le musée de cire), de l’Eglise de scientologie et du Chinese Theatre devant lequel de faux Spidermen ou des sosies de Marilyn Monroe font la manche.
Le mieux est de s’y rendre à l’heure où Philip Marlowe y emmenait Terry Lennox, vers cinq heures et demie, et de s’installer au bar pour y siroter un gimlet – “Un vrai gimlet, c’est moitié gin, moitié jus de citron vert et rien d’autre. Ça enfonce tous les Martini” écrit Chandler dans The Long Goodbye (1953). Et d’y lire The City of Quartz de Mike Davis, pour tout comprendre des changements de Los Angeles.
Nelly Kaprièlian
Musso and Frank : 6667 Hollywood Boulevard, Los Angeles.
Tel : (323) 467-7788
Raymond Chandler : The Long Goodbye (Quarto/Gallimard) traduction de l’anglais (Etats-Unis) par Janine Hérisson et Henri Robillot. Texte révisé par Cyril Laumonier.
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