Un an après Les Loyautés, Delphine de Vigan sonde cette fois la reconnaissance avec Les Gratitudes, un nouveau texte à l’os autour de quelques personnages poignants.
“Vous êtes-vous déjà demandé combien de fois par jour vous disiez merci ? Merci pour le sel, pour la porte, pour le renseignement”, commence Delphine de Vigan, pour en venir au propos du livre un paragraphe plus bas : “Vous êtes-vous déjà demandé combien de fois dans votre vie vous aviez réellement dit merci ? Un vrai merci. L’expression de votre gratitude, de votre reconnaissance, de votre dette. A qui ? Un professeur qui vous a guidé vers les livres ? Au jeune homme qui est intervenu le jour où vous avez été agressé dans la rue ? Au médecin qui vous a sauvé la vie ?”
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Les quelques personnages des Gratitudes se poseront tour à tour la question, comme ceux des Loyautés, publié il y a un an, se retrouvaient tous confrontés à l’idée de leur loyauté.
Au cœur de nos vies de tous les jours
Avec ce qui devrait être une trilogie (le dernier serait consacré aux ambitions), la romancière fait preuve d’un certain courage, en s’attaquant à des thèmes en apparence aussi graciles, aussi peu spectaculaires. Pourtant, avouons que ce sont ces thèmes – la question de la loyauté ou de la reconnaissance – qui sont au cœur de nos vies de tous les jours, qui nous travaillent, certes, en sourdine, mais de manière essentielle, parfois lancinante. Il faut aussi un certain courage pour les mettre en scène de façon aussi low-key, presque dépouillée.
C’est comme si l’auteure avait fait le pari de sonder la complexité humaine avec une économie de moyens qui évacuerait tout effet
Après la claque de la construction tout en leurres et miroirs de D’après une histoire vraie, c’est comme si l’auteure avait fait le pari de sonder la complexité humaine avec une économie de moyens qui évacuerait tout effet, toute forme de romanesque, au risque d’évacuer aussi tout ce qui fait “littérature”. Ici, une structure ultra simple : une alternance de chapitres consacrés à chaque personnage, faits de longs dialogues… C’est vrai que de Vigan y excelle, mais cette simplicité peut dérouter, nous faisant basculer dans une pièce de théâtre sans crier gare. Mais son leitmotiv, c’est toujours la parole, qui sauve et fait mémoire.
Un roman sur la parole
Marie, recueillie souvent par sa voisine, Michka, quand sa mère la négligeait, lui doit sa survie – mais le lui a-t-elle assez dit ? De son côté, Michka perd la mémoire des mots, devient dépendante, devra quitter son domicile pour vivre en Ehpad, et n’aura plus qu’un désir, désespéré : retrouver enfin la famille qui l’a recueillie pendant la guerre alors que sa propre famille, juive, a été déportée et tuée dans les camps.
Les retrouver pour leur dire, enfin, merci. Autour de ces deux femmes gravitent deux autres personnages : une directrice d’Ehpad sadique, qu’on suppose hallucinée par Michka tant elle est horrible, et qui devient l’écueil du livre, là où de Vigan ne résiste pas à en faire trop ; et Jérôme, un orthophoniste qui s’attache à Michka et tentera de l’aider.
L’entraide, c’est au fond le vrai sujet d’une écrivaine profondément humaine. Des Loyautés aux Gratitudes, les êtres dépendent les uns des autres pour se sauver, s’aider à survivre. C’est la parole qui les lie. C’est donc bel et bien le matériau principal des Gratitudes, que de Vigan veut nous faire entendre, sans peser, avec finesse.
Les Gratitudes (JC Lattès), 192 p., 17 €
Sortie le 6 mars
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