Les auteurs de Moi, assassin s’attaquent à l’industrie pharmaceutique dans un thriller d’autant plus inquiétant qu’il flirte avec le réel.
Sous une lune géante, un homme voit son corps disparaître dans un cimetière d’oiseaux, un amas de plumes et de chair inerte, avant de se réveiller en sueur et de noter son cauchemar. L’effrayante séquence d’ouverture donne le ton d’une œuvre provocante qui nous emmène littéralement aux frontières de la folie.
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Car le rêveur aux songes vertigineux, l’ex-écrivain Angel Molinos, s’efforce au quotidien d’inventer de nouvelles maladies mentales afin que des laboratoires puissent mieux vendre leurs médicaments. Alerté par un collègue sur des expériences borderline réalisées par leur employeur, Molinos va se mettre à enquêter, tout en continuant à chercher quel traumatisme originel est la source de ses cauchemars.
Un personnage inspiré de « l’homme le plus détesté d’Internet »
Après Moi, assassin (2014) avec qui cet album partage des personnages secondaires et la ville basque de Vitoria, Antonio Altarriba et Keko ont conçu un autre thriller psychologique implacable. Moi, fou se révèle d’autant plus dérangeant qu’il entretient un savant flou avec la réalité.
Un protagoniste est par exemple inspiré de Martin Shkreli, celui qui a augmenté de 5 000 % le prix d’un médicament utilisé contre le paludisme et le sida mais aussi acheté l’exemplaire unique d’un album du Wu-Tang Clan. Surtout, l’intrigue s’appuie sur un fond de vérité : plus les psychiatres se penchent sur la folie, plus le panel des maladies mentales s’enrichit.
Ainsi, entre sa première version en 1952 et les dernières en date, le nombre de pathologies établies par la fameuse publication américaine Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux est passé de 60 à quelque 400 !
De rares incursions de la couleur qui font toujours sens
Mêlant de manière fluide paranoïa, satire de “Big Pharma” et questions sur l’identité sexuelle, les deux auteurs remuent le couteau dans les plaies contemporaines. Le dessinateur Keko utilise avec maestria le noir et blanc pour dépeindre un monde déshumanisé.
Et quand la couleur fait de très rares incursions, ça a toujours un sens. Sorte de lanceurs d’alerte graphiques, Altarriba et Keko signent encore une fois une bande dessinée qui capte l’attention avant de jouer avec les peurs.
Moi, fou (Denoël Graphic), traduit de l’espagnol par Alexandra Carrasco, 136 p., 19,90 €
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