Arnaldur Indridason orchestre le retour de l’inspecteur Erlendur, qui continue de chasser les fantômes dans une Islande traumatisée.
Après avoir délaissé le temps de quelques romans les tourments et doutes de son personnage Erlendur Sveinsson, Arnaldur Indridason revient à la complexité de son inspecteur. Historiquement, Le Lagon noir se situe entre Les Nuits de Reykjavik, les premiers pas d’Erlendur dans la police, et la suite de ses enquêtes outre-polar.
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Dans ce roman, Erlendur, encore jeune homme, juste divorcé, vient d’abandonner sa fille, qui le lui rappellera amèrement dans d’autres livres. C’est-à-dire qu’il est encore trop jeune pour être désabusé, largué ; mais déjà assez bringuebalé par le destin pour s’abandonner à la mélancolie en toute intimité. A 30 ans, il est déjà un vieil homme solitaire : la nostalgie, un poison, lui sert de rempart contre une modernité qui déjà l’exclut.
Prodigieuse accélération de l’histoire
Comme souvent ici, les personnages d’Indridason se débattent contre un monde qui est allé trop vite pour eux. Face à cette prodigieuse accélération de l’histoire, qui en une génération a propulsé l’Islande de la pauvreté à l’opulence, de l’isolement total aux premiers rôles mondiaux – musique, tourisme, numérique… –, ses flics sont sonnés, hagards.
Comme le Wallander du Suédois Mankell, l’inspectrice Malin Fors de son compatriote Kallentoft, Erlendur traverse passivement son époque, qu’il ne comprend pas, qu’il subit. Lui aussi est rongé de mystères et de non-dits, de souvenirs toxiques, de familles cassées, qui dictent un présent qu’ils esquivent par le travail forcené ou l’alcool triste.
Mélange de fierté et de vulnérabilité
Avec une virtuosité qui vire à la jubilation, Indridason s’évade des codes du roman noir, pour une (en)quête métaphysique sur deux obsessions qui s’entrelacent : les disparitions et les relations empoisonnées entre l’Islande et l’ancienne base militaire américaine de Midnesheidi. Soit l’hostilité d’un pays où l’on survit, et ce mélange de fierté et de vulnérabilité propre aux petites nations orgueilleuses.
“Je m’intéresse à ceux qui résistent, à ces gens qui survivent à des conditions extrêmes. (…) Lequel des deux je suis, celui qui survit ou l’autre qui meurt ? Je me pose parfois la question”, dit Erlendur.
Qu’importe qu’il parle ici d’un petit frère perdu à tout jamais dans une tempête de neige ou d’un pays traumatisé par son entrée brutale dans le monde. Chez Indridason, difficile de savoir ce qui est homme, ce qui est terre, ce qui est vie, ce qui est fantôme. En Islande, à qui appartient l’âme n’est jamais vraiment très clair.
Le Lagon noir (Métailié Noir), traduit de l’islandais par Eric Boury, 320 pages, 20 €
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