Plongée dans le chaos post-Franco avec le nouveau roman du Barcelonais Javier Calvo.
S’aventurer dans le dédale saturnien de ce Jardin suspendu, c’est accepter de perdre tout repère, de flotter dans un monde indécis et opaque, celui de l’Espagne post-franquiste de la fin des années 70. Pour avancer, il faut s’en remettre à l’ensorcelante maîtrise de Javier Calvo, figure de la nouvelle scène littéraire espagnole et traducteur de David Foster Wallace et J. M. Coetzee.
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Dans son deuxième roman traduit en français après Les Lunes de Barcelone (2011), Calvo guide son lecteur dans les méandres de l’histoire de son pays, dans l’enfer d’une Espagne zombie encore tétanisée par des années de dictature, et dont la transition démocratique est ensanglantée par une vague d’attentats.
Hippies sous acide
Métaphore de ce chaos politique, l’image de la chute d’une météorite traverse Le Jardin suspendu et plonge le roman dans une lumière noire et cendreuse. Dans ce polar perché, les terroristes se donnent des noms de personnages des contes de Grimm (Mère Neige, Outroupistache, Dame Renard…), vivent tels des hippies dans un îlot au large d’Ibiza et planent sous acide au son des Sex Pistols et de Blondie entre un braquage de banque et un bain de sang. Parmi eux, Teo Barbosa, échalas ironique et provocateur, est un infiltré des services secrets, un informateur d’Arístides Lao – nom de code Sirius –, celui-là agent à la tête d’une unité spéciale chargée de démanteler le réseau TOD (“mort” en allemand), une organisation violente d’extrême gauche.
Vieux garçon “roux et chauve à la fois”, Arístides Lao n’a rien d’un James Bond et ne semble pas vraiment épaulé pour faire la chasse aux terroristes. Mais cet amateur de puzzles, qui vit encore chez sa mère aux “bras hydropiques”, est une sorte d’autiste génial. Cet homme-machine dépourvu d’affects possède des dons d’observation qui lui permettent de percer à jour les faux-semblants et autres doubles jeux qui minent la “Nouvelle Espagne”, “où nul n’est qui il semble être”, où chaque secret se dédouble jusqu’à produire une fascinante impression de vertige.
Sombre et nébuleux, saturé d’images hallucinogènes, Le Jardin suspendu possède l’intensité d’un trip, même si la descente se révèle violente et le retour au réel brutal. Un envoûtant thriller cosmique.
Elisabeth Philippe
Le Jardin suspendu (Galaade), traduit de l’espagnol par André Gabastou, 368 pages, 23 €
Salon du livre Javier Calvo sera présent les 22 et 24 mars de 18 h à 19 h, au stand de l’Institut Ramon Llull (U56)
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