“Des princes pas si charmants” est le quatrième tome de la série “Un autre regard” de la dessinatrice Emma. Cette ex-ingénieure informaticienne revient pour “les Inrocks” sur “Le dimanche soir”, l’une des histoires issues de cette BD, où il est question de souffrance au travail et d’appel à la grève.
Dans Le dimanche soir, histoire extraite de son nouvel ouvrage Des princes pas si charmants et autres illusions à dissiper ensemble (éd. Massot, quatrième tome de sa série Un autre regard), la dessinatrice Emma s’emploie à décrire la violence exercée par le monde du travail sur les salariés.
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L’autrice de 36 ans, qui a fait connaître le concept de « charge mentale » avec sa BD Fallait demander, dépeint un climat anxiogène, au sein duquel le salarié n’en fait jamais assez, et ce, jamais assez bien. Une pression qui peut avoir de graves conséquences sur la psychologie des personnes qui la subissent. On se souvient par exemple des 60 suicides d’employés de France Télécom, qu’Emma évoque d’ailleurs le temps de quelques planches, de même que la situation dramatique à la Poste ou encore à la SNCF. Des entreprises dont les techniques managériales ont mené une partie de leur personnel à la rupture, et dont l’ex-ingénieure se sert pour illustrer le profond malaise qui s’est enraciné dans l’ensemble du monde professionnel.
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Cette souffrance au travail, la dessinatrice y a d’ailleurs elle-même été confrontée. “Si j’ai fait cette BD, c’est pour montrer aux gens qu’ils ne sont pas seuls, parce que moi j’avais vraiment l’impression de l’être quand j’ai vécu ça”, confie-t-elle aux Inrocks. Dans Le dimanche soir, Emma revient ainsi sur ses douloureuses expériences professionnelles passées, de ses premiers boulots difficiles – serveuse, aide ménagère…- jusqu’à l’obtention de son diplôme d’ingénieure. “Avec ma mallette et mon tailleur neuf, j’étais convaincue d’avoir enfin trouvé ma place dans la société”, écrit-elle.
Mais, très vite, Emma déchante. De nouveau confrontée à un chef toxique après une restructuration de sa boîte, elle fait des heures à n’en plus finir, voit son travail sans cesse critiqué, et finit par perdre totalement confiance en elle et en ses capacités. Pressions, instructions floues qui font peser sur l’individu la responsabilité d’un échec, remarques sexistes sur le physique de la part de supérieurs… Tout cela, la dessinatrice l’a subi. “Là, je me suis rendu compte que quels que soient les efforts que je pouvais fournir, cela n’allait jamais, j’avais l’impression d’être en permanence mise en défaut, d’être incompétente, et j’ai fini par tomber en dépression”, nous raconte-t-elle. “Mais j’ai aussi compris que tant que nous ne serions pas propriétaires des moyens de production, nous serions tous susceptibles d’être confrontés à cette violence.”
“Le travail pourrait être tellement autre chose que ce qu’on en fait aujourd’hui”
Pour la militante féministe, qui a entamé sa réflexion anticapitaliste à partir des violences qu’elle a elles-mêmes subies dans le monde professionnel – elle finira par quitter son job d’ingénieure pour se consacrer pleinement au dessin et à l’écriture, armes dont elle se sert pour tenter d’éveiller les consciences -, le problème du mal-être au travail est inhérent au fonctionnement de notre société, et ne pourra en effet se résoudre qu’au travers d’une lutte collective. “En publiant ces planches, je veux dire que ce n’est pas de notre faute, et qu’on ne trouvera pas de solution en cherchant individuellement à s’adapter à ce monde-là. C’est ce monde qui est toxique, ce n’est pas nous qui ne savons pas gérer ça”, nous dit-elle, en écho à un message relayé dans Le dimanche soir : “Face à ces machines à broyer l’humain, on se sent impuissant.es mais on a tort ! Sans nous, pas de travail, pas de bénéfices pour les capitalistes ! Alors il est peut-être temps de relever la tête en usant du plus puissant de nos droits : la grève !”
Alors même qu’à l’appel de plusieurs syndicats, une grève interprofessionnelle se prépare en France le 5 décembre – et ce, contre la réforme des retraites menée par Emmanuel Macron, qui prévoit notamment la suppression des régimes spéciaux mais aussi l’instauration d’un système de retraite par points -, Emma nous raconte vouloir “transmettre l’idée qu’il ne faut pas se retourner contre les grévistes, mais, au contraire, participer partout où on le peut. Parce que le travail, libéré du capitalisme, pourrait être tellement autre chose que ce que l’on en fait aujourd’hui”.
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En effet, pour nombre d’actifs de nos jours, travailler se résume à percevoir un salaire à la fin du mois, sans constituer une source d’épanouissement personnel. “La majeure partie du temps, nous n’avons aucune idée de ce que l’on produit ni de son utilité pour la société”, souligne la dessinatrice. Or, dans une société organisée différemment, d’autres approches pourraient être envisagées. Emma évoque d’ailleurs quelques pistes dans son ouvrage, en prenant notamment pour exemple les communautés primitives, qui travaillaient sans contrainte de rentabilité ou d’horaires. “Il ne s’agit évidemment pas de dire que l’on va y retourner, mais de comprendre comment les rythmes de travail, le Taylorisme et le présentéisme sont construits, liés à une structure de la société et pas du tout à la nature humaine.”
A noter que dans Des princes pas si charmants, la dessinatrice (ré)aborde également le concept de « charge mentale », qui empoisonne la vie des femmes, ou encore celui de « sexisme bienveillant« . Une façon de montrer, en évoquant ces sujets aux côtés de la problématique mise en avant dans Le dimanche soir, comment patriarcat et capitalisme vont de pair. Des mécanismes complexes et imbriqués qu’Emma nous résume en une phrase : “Tant que nous serons dans cette société capitaliste et que nous ne supprimerons pas la hiérarchisation des classes sociales, nous serons en lutte permanente pour éviter des reculs, tant pour les femmes que pour les salariés.”
Des princes pas si charmants et autres illusions à dissiper enselmble, d’Emma, éd. Massot, 112p., 16 €
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