Dans l’Angleterre d’Evelyn Waugh, un dimanche de printemps offre à une lectrice un destin de romancière. Un petit chef-d’œuvre de Graham Swift, concis et grisant à la fois.
A 22 ans, Jane Fairchild a un bel amant et, devant elle, un dimanche de printemps. Dehors, sous le soleil du Berkshire, les alouettes prennent leur envol, “en flèche vers la voûte du ciel bleu” ; dans la chambre d’un manoir, les vêtements tombent, les corps exultent et les esprits s’enflamment. Car Jane est “futée. Vraiment futée”.
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Mais Jane est également une servante, abandonnée à la naissance et condamnée à voir l’homme qui la fait jouir depuis sept ans épouser une héritière. Drame social ? Tragédie amoureuse ? Comédie de mœurs à base d’amours ancillaires ? Dans “une histoire plus banale, plus comique”, ce pourrait être le cas. Mais de banalité,le dixième roman de Graham Swift (né en 1949 à Londres) ne porte nulle trace.
La bonne fée littérature
Dans sa version originale, Le Dimanche des mères s’ouvre sur une phrase de conte pour enfants – “Once upon a time…” – et, en exergue, fait à son héroïne une promesse : “Tu iras au bal !” Afin que cette prophétie s’accomplisse, Jane reçoit l’aide d’une bonne fée, laquelle a pour nom littérature.
Dans l’Angleterre de 1924, une génération a disparu, fauchée dans les tranchées. Endeuillé par la perte de ses fils, l’employeur de la jeune domestique lui a ouvert les portes de leur bibliothèque. Et ainsi fait d’elle une lectrice – une lectrice avide, capable de décrypter les livres et le monde d’un œil tellement acéré que, d’ores et déjà un peu romancière, elle aura par la suite une belle carrière littéraire.
Au grand bal de l’intelligence
Afin de rendre ces enjeux palpables au travers d’une narration resserrée sur la durée d’une journée, Swift réussit l’improbable alliance du lyrisme le plus solaire et de la concision la plus sèche. Commencé dans une exubérance pimentée de malice, Le Dimanche des mères effleure la case tragédie, initie Jane au registre de l’élégie et lui offre ainsi la matrice de son œuvre romanesque à venir.
Devenue vendeuse en librairie à Oxford, où ses mœurs et son esprit achèvent de se libérer, l’orpheline ira bel et bien au grand bal de l’intelligence. Un bal où le lecteur a la sensation de valser avec elle, tant la musique du conte féministe de Swift est grisante.
Le Dimanche des mères (Gallimard), traduit de l’anglais par Marie-Odile Fortier-Masek, 142 pages, 14,50 €
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