Hostiles au livre numérique, de nombreux auteurs se transforment en cavaliers de l’apocalypse, prophétisant la mort de la littérature. Et si c’était cette posture, le vrai danger ?
Et si les Mayas avaient raison ? Si la fin du monde était en effet programmée pour bientôt ? Certains écrivains, que l’on jugeait pourtant nettement plus lucides que Paco Rabanne, semblent y croire, et pour eux, l’Antéchrist, c’est le livre numérique. Dans son Premier bilan après l’apocalypse paru en septembre, Frédéric Beigbeder prophétisait la mort du roman, détruit par dématérialisation. Il n’est pas un Cassandre isolé, ermite en peau de bête qui hurlerait seul au fond d’une grotte. A sa voix se joignent celles de nombreux auteurs qui se sentent menacés, persuadés que l’e-book va tuer le livre et anéantir la littérature.
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Récemment, Gary Shteyngart, qui vient de publier Super triste histoire d’amour, nous faisait part de sa peur de voir le livre imprimé disparaître, en caressant d’une main mélancolique la couverture d’un volume relié. La résistance se nourrit d’une sorte de nostalgie par anticipation. Les antinumérique regrettent déjà l’odeur du papier, le bruit des pages que l’on tourne.
Dans La Liseuse, roman paru récemment, l’oulipien Paul Fournel donne corps avec un certain humour à cet attachement sentimental à l’objet-livre, à travers le personnage d’un éditeur qui découvre la tablette high-tech :
« Elle est noire, elle est froide, elle est hostile, elle ne m’aime pas. »
Le livre numérique perçu comme le suppôt du capitalisme
D’autres écrivains se montrent plus véhéments. Ainsi, Jonathan Franzen s’est récemment attaqué au livre numérique, suppôt du capitalisme, qui menacerait l’équilibre même des individus : « Il sera difficile de construire un monde où il n’y aura aucun repère intemporel tel que le papier. » Quant à Yann Moix, toujours dans la nuance, il revêt sur son blog le costume de grand inquisiteur et appelle carrément à un « e-todafé ». Pour lui, « les e-lecteurs ne sont pas des lecteurs : ce sont des liseurs », avides de gaver leur tablette d’oeuvres complètes qu’ils ne liront jamais. En quoi est-ce pire que de ne jamais ouvrir les Pléiade qui décorent certaines bibliothèques ?
Aussi outrancière soit-elle, la diatribe de Moix est intéressante car elle révèle le caractère irrationnel des craintes des écrivains face au livre numérique. Le flou autour des questions de rémunération et de droits d’auteur, les risques de piratage, peuvent expliquer ce rejet. Mais il paraît surtout le fruit d’une relative méconnaissance. Certes, on peut stocker des milliers d’oeuvres sur une tablette mais on télécharge aussi au coup par coup, sur une impulsion, parce qu’en vacances on a soudain envie de relire Anna Karénine, par exemple.
D’autre part, il semble peu probable que l’e-book se substitue totalement au livre imprimé. Ni diable, ni messie, la liseuse électronique devrait devenir un support de lecture complémentaire du livre papier, destiné à des contextes et des usages particuliers (en voyage, dans les transports…). Craindre le livre numérique, le diaboliser comme le fait Yann Moix, semble une posture plutôt contreproductive. Les écrivains risquent de se couper d’une partie de leurs lecteurs et, à terme, de devenir leurs propres fossoyeurs.
Elisabeth Philippe
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