Avec son deuxième roman qui la raconte en mère privée de son fils, Constance Debré confirme qu’elle est une écrivaine, petite sœur d’Angot et Despentes. Ecrire, être homosexuelle, vivre libre ont-ils un coût ? Love Me Tender pose ces questions fondamentales.
Décrire le physique de Constance Debré n’est pas compliqué. Il suffit de recopier ce qu’elle en dit au gré de ses deux romans, Play Boy en 2018 et Love Me Tender aujourd’hui. Elle y écrit qu’elle est grande. C’est vrai, un bon mètre soixante-dix-huit. Elle y écrit qu’elle ne fait pas ses 47 ans. C’est vrai, on lui en donne dix de moins. Mais elle ne dit pas qu’elle est belle. Pourtant, c’est vrai aussi, d’évidence quand elle surgit au rendez-vous, un jour pluvieux du mois de décembre dernier. Fine, élancée, souriante, déployée.
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Comme dans la chanson de Sylvie Vartan, “comme un garçon » elle porte un blouson. Mais aussi un jean baggy et les cheveux courts. Comme dans la chanson, on la sent “têtue, prête à distribuer des corrections”. Mais pas du tout comme dans la chanson de Sylvie, elle n’attend pas un homme pour se sentir “toute petite fille”. Plutôt les bras d’une femme. Love Me tender, dit-elle.
Ce nouveau livre autobiographique servant de guide, le dialogue en forme de duo a lieu à Paris dans un café de la rue Daguerre, qui lui sert de QG pour ses petits déjeuners ou ses rendez-vous. Elle dit qu’il y a tout ce qu’il lui faut dans ce café à l’ancienne : des clopes, des journaux et la gentillesse des serveurs. Le café s’appelle Le Naguère.
Vies antérieures
Naguère, Constance Debré a eu d’autres vies. Elle fut avocate en droit des affaires puis au pénal, elle a été mariée pendant vingt ans et a eu un enfant, un garçon. Naguère, elle a cumulé bien des peines, dont le fardeau pesant à ses épaules d’être une fille de famille. Par son père, François, elle est née Debré. Comme le fameux Premier ministre de De Gaulle, Michel, son grand-père, ou le non moins célèbre pédiatre, Robert, son arrière-grand-père.
On lui demande pourquoi elle n’a pas choisi un pseudonyme. Elle dégaine un simple bon sens : “Pourquoi je changerais de nom ? Je n’ai rien à cacher. Si ça gêne les Debré ce que j’écris, ce sont eux qui n’ont qu’à changer de nom. Debré n’est pas une marque déposée. Je suis mon nom” Et d’ajouter, un léger voile de colère dans le regard : “La famille, c’est leur problème, ce n’est plus le mien.”
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Pourtant, dans Love Me Tender, la famille Debré revient encore. Par la fenêtre de son père, jamais nommé par son prénom, à peine un “papa » ironique, dont elle écrit lors d’une visite dans sa maison près de Saint-Pierre-des-Corps : “Je le regarde passer, marcher dans le couloir, ça commence à se voir qu’il va mourir, je me demande quand, s’il vaut mieux que je lui parle ou s’il vaut mieux que je continue à faire comme s’il était déjà mort.”
C’est rude, lui dit-on. “Pas d’embrouilles, je ne souhaite pas que mon père meure. Il a déjà avalé le contenu de plusieurs pharmacies, c’est un miracle qu’il soit encore vivant. Mon père, c’est l’histoire d’un mec qui ne meurt jamais et qui ne vit pas pour autant. Qu’est-ce qu’on fait d’un mort-vivant ? C’est une question que je me pose à moi-même”
Des femmes puissantes
Et sa mère dans tout ça ? Elle hante le récit comme un fantôme en sourdine. A lire sa fille, elle était très belle, très fantasque, très aristocrate et très droguée. “Oui, très tout ça. Une superpuissance, donc invivable pour moi, stéréotype de l’impuissance, qui n’avais pas choisi d’être sa fille.” Une impuissance qui lui donne la force d’articuler tout à trac : “La mort de ma mère est la meilleure chose qui me soit arrivée. J’avais 16 ans, je rentre de l’école et tac !, elle était morte.”
Et le chagrin ? “Oui, bien sûr, un immense chagrin, à côté duquel les autres chagrins sont une vaste blague. La sorte de masculinité de cette mère hyperféminine fut pour moi un bon point de départ.” Autrement dit dans Love Me Tender : “J’ai grandi dans des familles où les femmes étaient viriles, où elles chassaient, elles conduisaient, elles fumaient, où les hommes pouvaient préférer dessiner, lire Rimbaud et ne pas aimer la chasse. (…) J’ai eu ma première carabine à 15 ans. Cadeau de ma mère, ancien mannequin toujours parfumée, toujours maquillée. A ton âge, il serait temps que tu apprennes à tirer. Conduire, naturellement, je savais déjà.”
A folâtrer dans l’arbre généalogique des Debré, on comprend que la branche Constance n’est qu’un rameau fragile, à peine une bouture. “Mes racines (sourire) m’ont au moins appris que la marginalité de mon père et la haute noblesse de ma mère pouvaient faire alliance sur un point : la détestation de cette bourgeoisie désuète incarnée par le clan Debré. Ma mère disait : ‘Des ploucs.’ Des beaufs pathétiques en effet, et peut-être à ce titre un rien touchants.”
L’autre lien familial est autrement, tragiquement, génétique. Un fils, un garçon. Love Me Tender lui est aussi adressé, avec d’autant plus de violence que son père, nommé Laurent dans le récit, s’est échiné par tous les moyens à tenir cet enfant éloigné de sa mère. Constance se fait de nouveau coupante : “C’est un parfait salaud et en plus je suis toujours légalement mariée avec lui.”
On demande si ce “salaud”, qui en effet à la lire semble parfois ignoble, ne pourrait pas déchaîner tous les moyens juridiques d’empêcher Love Me Tender : “Il a déjà avalé Play Boy, il devrait digérer Love Me Tender. Et puis, tant qu’il ne m’envoie pas des tueurs yougoslaves pour me péter les genoux, je me fous de ses réactions. Je n’ai pas besoin de le détester. La haine, c’est son affaire.”
“Je ne vois pas pourquoi l’amour entre une mère et un fils ne serait pas comme les autres amours. Pourquoi on ne pourrait pas cesser d’aimer”
Quant au fils qu’elle ne voit pratiquement plus, le coup d’Etat sentimental éclate comme une bombe à fragmentation lancée entre les lignes du livre : “Je ne vois pas pourquoi l’amour entre une mère et un fils ne serait pas exactement comme les autres amours. Pourquoi on ne pourrait pas cesser d’aimer. Pourquoi on ne pourrait pas rompre. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas s’en foutre, une fois pour toutes, de l’amour.”
Elle le réarticule de vive voix plus « gentiment”. “Mon œuvre, c’est de me dépouiller de tout, ma famille, mon boulot et aussi de me dépoisser du piège de la maternité obligatoire. Ce qui ne veut pas dire que je ne pense plus à mon fils. Il est là. J’en rêve parfois. Un jour il aura peut-être les capacités de me considérer autrement que comme cette grande chose écrasante, chiante et unique, sa mère.”
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A-t-elle jamais songé, comme à une trousse de secours, à la psychanalyse ? “J’ai tenté une fois. Une fois pour toutes. Ça a foiré parce que ça m’intéressait uniquement pour faire des livres. Me confier, me confesser, me plaindre, ce n’est pas ma passion, ça ne m’intéresse pas de raconter cette Constance dont je ne suis pas certaine qu’elle existe. Pardonnez-moi cette banalité : mes livres, c’est un moi qui n’est pas moi. A ce titre, l’étiquette passe-partout et un peu collante de l’autofiction me convient.”
Une culture lesbienne “pauvre”, “mal dite”
Des références, des modèles ? La fameuse culture gay ? “La culture gay, c’est surtout celle des garçons, visible, documentée, éclatante, envahissante aussi. En France, à part Guillaume Dustan, super gouine à sa façon, et Elisabeth Lebovici avec sa rage punk, je trouve que la culture lesbienne est pauvre, enfouie, non dite ou mal dite. Sinon quoi ? Les premiers livres de Christine Angot et un bouquin de Georges Perec, L’homme qui dort. Un homme qui dort pendant vingt pages, et qui, quand il se réveille, ne se lève pas, n’y va pas. A l’école de Perec, je voudrais inscrire plus qu’écrire cet état d’impuissance et de solitude dans le prosaïque de mon existence. Inventer la langue la plus banale, celle de ma vie, comparable à la mocheté d’un café parisien.”
Et de prendre à témoin le décor environnant : “Je me sens proche du faux bois des tables, du faux cuir des banquettes. C’est dégueulasse, ça me convient. Comme un ado à deux doigts du suicide et qui se bourre la gueule aux jeux vidéo. Comme une idiote qui se nourrit dans un Starbuck de merde avant d’aller se défoncer à la piscine.”
Très important, la piscine, dans la vie mode d’emploi de l’indisciplinée Constance. “Je me sens coupable si je ne vais pas nager, et allégée quand j’en sors. C’est une sorte de devoir accompli. J’ai besoin de me dépasser, de bouger la carcasse. Je me suis dépouillé de tout sauf du corps.”
Le corps qui insiste et résiste
Et de conclure, comme aux abois : “La question n’est pas de savoir si on préfère tripoter des bites ou des chattes. La question est celle du corps qui insiste et résiste. Le plaisir est alors hors jeu car la liberté ce n’est pas que du plaisir. Nager comme une folle, baiser à tour de bras ou presque, pour sentir que j’ai encore un corps et l’autre aussi. Bon, OK, j’aime ton corps et tu aimes le mien. Et après darling, qu’est-ce qu’on en fait ?”
Lesbienne aux passions multiples et compulsives, mauvaise mère, méchante fille et romancière rebelle, Constance Debré serait-elle une incendiaire, pétroleuse des barricades qui empêcheraient sa vie d’avancer, une anarchiste singulière qui rue dans tous les brancards, y compris celui de la “genrification” contemporaine dont l’orthodoxie impose que l’on se tienne à une seule identité sexuelle ? “Je peux le répéter puisque je l’ai déjà écrit, c’est pédé que j’aurais voulu être.” Et d’éclater d’un grand rire.
“Ce fut un bonheur quand cette formule magique m’est venue. La jouissance d’une trouvaille avec l’intimidation qu’elle induit. Je me suis fait peur en écrivant ça, mais je ne pouvais pas le dire autrement. Ou plutôt si, je pourrais le dire d’une autre façon : je suis une gouine pédé.”
“L’homosexualité, c’est la vacance de tout”
Le baron de Charlus option Sid Vicious, comme elle l’écrit dans Love Me Tender ? “L’homosexualité, c’est la vacance de tout. Autant dire que ça recoupe chaque minute de ma vie. Est-ce courageux, catégorique ? Franchement, je ne sais pas. Je ne me sens ni souffrante ni victime. J’habite une chambre de bonne dans le XIVe arrondissement avec quelques fringues qui me suffisent. Le moins de propriété possible. Mais je n’en fais pas un héroïsme et ce n’est tout de même pas SDF. Si je gagnais au Loto, je pourrais augmenter la surface de mon logement. Mais trente mètres carrés de plus ne changeraient rien à ma vie.”
True love
Alors, pourquoi Love Me Tender malgré tout ? “Parce qu’Elvis ! Sa voix veloutée, sa sensualité en transe.” On a apporté à Constance Debré les paroles de la chanson de Presley. Elle en fredonne le premier couplet : “Love Me tender, love me sweet, never let me go. C’est ça, exactement ça !”
Puisqu’il est question de love et de tender, on lui demande s’il est vrai, comme elle l’a écrit, qu’un de ses tatouages intimes a muté. “Vous voulez voir ?” Elle relève son pull et dévoile au bas de son ventre un tatouage “Fils de pute” qui a été barré d’une croix et est désormais encadré en caractères gothiques d’un “True love” censément apaisant. Rock pour rock, Johnny pour Elvis, tu sais quoi ? cette fille-là, elle est terrible !
Love Me Tender (Flammarion), 188 p., 18 €
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