Un jeune homme brillant rate consciencieusement sa vie. Catherine Cusset revient sur les causes du naufrage et rend hommage aux anticonformistes.
Au printemps 2008, Thomas se suicide sur le campus de l’université américaine où il enseigne. Une narratrice s’empare alors du récit et retrace le parcours de ce Français de 39 ans installé aux Etats-Unis depuis plus de quinze ans. Elle enquête, ausculte son histoire à la recherche d’indices annonciateurs du désastre.
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Le procédé est judicieux, car la vie de Thomas défile sous nos yeux à toute vitesse, racontée par une narratrice qui, pour extérieure qu’elle soit, a bien connu ce garçon dont elle était très proche. Catherine Cusset se surpasse dans un récit qu’elle tient de bout en bout et nous entraîne tambour battant vers la catastrophe finale, que l’on sait inéluctable puisqu’elle est annoncée dès les premières pages.
Une douleur diffuse qui irrigue tout le livre
Depuis longtemps, la romancière construit sur fond d’autobiographie un travail fictionnel d’une grande cohérence. Elle analyse ainsi des vies, à partir de la sienne ou celle de proches. Toujours, de La Haine de la famille à Une éducation catholique en passant par Un brillant avenir, ses textes sont extrêmement romanesques.
Catherine Cusset ne se contente pas de raconter : elle met en scène les interactions entre son sujet et son époque, son milieu social, l’ambiance familiale dans laquelle il évolue. Le propos est similaire ici mais le résultat plus abouti et doté d’une tonalité particulière. Car ce suicide que personne n’a pu empêcher emplit ce livre d’une douleur diffuse, à la mesure du chagrin et de la culpabilité de la narratrice.
La vie pourtant avait commencé sous de bons auspices pour Thomas comme pour Nicolas, son meilleur ami, et leurs copains. Mais les premières failles apparaissent très tôt. En classe prépa, tous ces jeunes bourgeois parisiens se mettent à travailler d’arrache-pied pour intégrer une grande école, sauf Thomas, qui musarde. Nicolas entre à Normale sup, pas lui.
Un portrait croisé de la France et des Etats-Unis
A partir de là, les vies s’organisent : les uns rejoignent l’enseignement, d’autres la diplomatie ou le privé. Thomas, qui va de maladresses en négligences, est souvent sur le point de décrocher la lune mais se retrouve toujours sur la touche.
Lorsqu’il est accepté dans une université américaine, il pense que la chance est désormais de son côté. Mais là-bas aussi Thomas perd son temps et, même s’il séduit tout le monde par son humour et son érudition, il accumule des étourderies qui finissent par lasser.
Catherine Cusset signe là un bel hommage à ces créatifs exubérants, anticonformistes et autres inadaptés qui ne savent pas faire carrière. Et son texte plein d’affection et de regrets peut aussi être lu comme un portrait croisé de la France et des Etats-Unis.
Ce sont les deux pays de la romancière, celui où elle est née et celui où elle vit. Thomas ne cesse d’aller de l’un à l’autre, et se déroule sous nos yeux ce qui a marqué leur histoire récente, la mort de François Mitterrand, l’effondrement des tours jumelles. Mais tout ceci est noté sans lourdeur, comme de simples jalons. Juste pour nous signaler, probablement, et avec une certaine mélancolie, à quel point le temps passe.
L’autre qu’on adorait (Gallimard), 304 pages, 20 €
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