Dans son nouveau roman, Laurent Binet imagine que Roland Barthes a été tué. Cela donne un méta-polar pop et allumé avec Foucault, une farce avec Sollers et Kristeva en guest-stars. L’une des bizarreries de la rentrée.
Mais qui a tué Roland Barthes ? Quand BHL a-t-il porté une chemise noire pour la dernière fois ? François Mitterrand a-t-il gagné l’élection de 1981 simplement parce qu’il s’est fait limer les dents ? Vous le saurez en vous plongeant dans l’ébouriffant roman de Laurent Binet, La Septième Fonction du langage.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Après HHhH sur l’assassinat du nazi Heydrich, qui le fit connaître du grand public, Binet s’était quelque peu égaré avec Rien ne se passe comme prévu, livre fastidieux dévoilant les coulisses de la campagne de François Hollande. En renouant avec le romanesque pur et dur, l’écrivain nous offre l’une des meilleures surprises de la rentrée.
Un livre drôle, pop et malin, entre Fight Club, Le Nom de la rose et “Tintin au pays de la French Theory”. Pourtant le projet ressemble à une gageure folle : écrire un polar ultradivertissant et efficace à partir d’une matière on ne peut plus austère en apparence : la linguistique.
Le flic ne pige que pige que couic à la sémiologie
Le 25 février 1980, Roland Barthes est renversé par une camionnette. Il meurt quelques semaines plus tard. L’histoire est connue. Mais pour le commissaire Bayard, cet accident n’en est pas un. Barthes sortait d’un déjeuner avec François Mitterrand avant d’être percuté. C’est louche.
Le flic commence à mener l’enquête. Parce qu’il n’entrave rien aux subtilités de la sémiologie, il réquisitionne un jeune universitaire du nom de Simon Herzog. Un rat de bibliothèque qui va peu à peu se transformer en James Bond. Après tout, décoder les signes grâce à la sémiotique, c’est aussi savoir traquer les indices.
Quant à Bayard, il finira par être très “intime” avec les théories poststructuralistes les plus pointues. Le duo classiquement antagoniste de la brute et de l’intello fonctionne à merveille. Et le jeu de piste qui les entraîne de Paris à Venise en passant par Bologne et les Etats-Unis, avec filatures, courses-poursuites, société secrète et d’étranges Japonais en Fuego, est mené sans temps mort.
Un jeu décomplexé avec les figures intellectuelles et politiques
Les deux limiers interrogent Michel Foucault, un gigolo entre les jambes, dans un sauna ; déjouent les ruses machiavéliques du couple Sollers-Kristeva ; font la fête – et plus si affinités – avec Hélène Cixous et Judith Butler. Certaines séquences sont à hurler de rire (Jean-Edern Hallier qui gesticule face à un Sartre impassible, la scène de baise “deleuzienne”). C’est sans doute l’un des aspects les plus réjouissants du roman, cette façon totalement décomplexée de jouer avec les figures intellectuelles
mais aussi politiques.
L’intrigue se déroule durant la campagne présidentielle dans laquelle s’affrontent Giscard et Mitterrand et, aussi allumé soit-il, le livre porte une réflexion sur les liens troubles entre pouvoir et langage. Saturé de références, flirtant avec la métafiction, La Septième Fonction du langage peut se lire à différents niveaux.
Que l’on saisisse ou non tous les clins d’œil, le “plaisir du texte”, pour citer Barthes, reste le même. En faisant de Roland Barthes – mort avant d’avoir pu écrire le roman dont il rêvait – le héros de cette aventure, Laurent Binet venge le critique et nous régale.
La Septième Fonction du langage (Grasset), 496 pages, 22 €
{"type":"Banniere-Basse"}