L’actrice italienne publie son premier livre, un recueil de textes courts et subtils qui dévoilent une personnalité complexe.
Pour beaucoup de français·es, elle reste la sublime actrice qui incarne la femme de Nanni Moretti dans La Chambre du fils. C’est oublier que, depuis les années 1980, Laura Morante a joué dans plusieurs dizaines de films sous la direction de Bernardo Bertolucci, Pupi Avati, Cristina Comencini, mais aussi Alain Tanner, Danièle Thompson et John Malkovich. Elle est aussi réalisatrice, scénariste et vient d’écrire un livre : un recueil de courtes nouvelles qui semble éclairer son travail de comédienne et dévoile une personnalité complexe.
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Un héritage de taille
Pour la sortie de son livre en traduction française, Laura Morante est venue à Paris, une ville qu’elle connaît bien puisqu’elle y a vécu. On la rencontre place Saint-Sulpice, c’est l’heure du petit déjeuner, et devant un expresso, on lui pose d’emblée la question : pourquoi ne pas avoir publié plus tôt ? Elle rit : “Il faudrait demander à mon psychanalyste.”
Car elle est la nièce de la romancière Elsa Morante, icône de la littérature italienne. Un héritage peut-être tétanisant, que Laura Morante résume en évoquant une scène qui remonte à l’adolescence. À quinze ans, elle a écrit une nouvelle que son père – lui-même journaliste et écrivain, “le juge suprême dans la famille” – a dit ne pas aimer du tout avant de changer d’avis, mais c’était trop tard. Alors elle s’est tournée vers d’autres formes artistiques, la danse, le théâtre, le cinéma, et ce livre-là n’aurait peut-être jamais existé sans l’obstination d’une amie, la réalisatrice et éditrice Elisabetta Sgarbi, qui longtemps l’a encouragée à écrire.
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“J’essayais d’esquiver, jusqu’au jour où elle m’a invitée à déjeuner à Rome et a sorti un contrat. C’est sans doute ce qu’elle avait compris : je disais que je ne voulais pas écrire et j’en avais très envie.” Laura Morante a signé, à une condition : que ce ne soit pas un roman mais un recueil de textes brefs, car elle aime ce genre littéraire, les œuvres de Walser ou Cortázar, “même les haïkus”. Voici donc Quelques indélicatesses du destin, alternance de nouvelles jubilatoires et de ce que Morante nomme des interludes, petits contes moraux drolatiques.
Entre morale et désirs
Les nouvelles attrapent des personnages à un moment décisif de leur vie, quand ils et elles se débattent avec leur morale personnelle, leurs rêves inavoués, l’indélicatesse de leurs proches. C’est un homme qui ne sait pas comment quitter sa fiancée, une femme trahie par sa meilleure amie, deux adolescentes que la vie sépare, une enfant qui assiste à la déconfiture de sa famille. Le ton est allègre mais les situations terribles. “En entendant les autres en parler, je me rends compte que ce livre n’est pas aussi léger que je le croyais”, avoue-t-elle.
On écoute son français émaillé de quelques mots italiens, Morante parle vite, et elle, qui a pourtant l’habitude des interviews, paraît fébrile, intimidée. On l’interroge sur ses personnages tiraillés entre morale et désirs. “Depuis toute petite j’ai ce problème. Qu’est ce que je fais quand je suis seule et que personne ne me surveille ? Je mets du soin à faire les choses ou pas ? Parfois c’est un poids.” On remarque qu’il est toujours question de parole empêchée, d’héroïnes impuissantes à formuler ce qu’elles ont sur le cœur, ou à être entendues. Aussi, le silence et les non-dits hantent ces textes très subtils, où l’autrice use de l’ellipse temporelle, de la suggestion, pour ne jamais tout expliquer.
Et il y a cette nouvelle, au centre du livre, d’une tonalité un peu différente des autres, un texte d’une tristesse infinie. Il est question de l’Italie provinciale dans les années 1960, d’une amitié brisée entre deux adolescentes. “C’est le seul texte qui soit un peu autobiographique, dans la relation entre les deux filles notamment. Cette nouvelle est celle qui m’a coûté le plus à écrire. Pendant longtemps je ne pouvais pas la relire, j’ai eu un rapport très compliqué avec elle. La description de la petite ville, de la haine qui circule, c’était très réel. Et très douloureux.”
Quelques indélicatesses du destin de Laura Morante. Traduit de l’italien par Hélène Frappat (Rivages). 256 pages, 20 €.
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