Poète afro-américain, Langston Hughes a vécu aux États-Unis, en Afrique et en France dans les années 1920. Son autobiographie, enfin rééditée, est un précieux document sur la question noire au début du XXe siècle.
C’est une traversée des États-Unis au tout début du siècle dernier, un voyage en Afrique, une visite des cafés de Montmartre dans les années 1920, une chronique du Harlem de la Grande Dépression. Ce livre est surtout l’émouvant témoignage d’un jeune poète qui découvre le monde et la vie.
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Langston Hughes (1901-1967) est déjà un poète reconnu en 1940 quand il publie ce texte, où il raconte les trente premières années de sa vie. Chaque étape de son existence lui fournit l’occasion de regarder avec une lucidité affûtée la condition des noir·e·s et des métis·se·s en Amérique et à travers le monde, car il a vécu dans différents pays. Ce texte, devenu culte outre-Atlantique, a été traduit en 1947, on ne sait par qui, et publié sous le titre Les Grandes Profondeurs chez Seghers, qui le réédite aujourd’hui.
Hugues raconte d’abord ses ancêtres, blancs, indiens et noirs, ce qui fait qu’il n’est “pas vraiment de couleur noire” mais “aux États-Unis, on a l’habitude d’appeler noir toute personne qui a la moindre goutte de sang noir dans les veines”. Sa mère l’élève seule, elle est cultivée mais pauvre et déménage constamment à travers le pays, à la recherche d’un emploi mieux rémunéré.
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Un document passionnant sur l’époque
Adolescent, il rejoint un temps son père installé au Mexique, où la ségrégation n’existe pas. Puis il décide de rentrer, se fait passer par hasard pour un Mexicain et constate amusé à quel point on le traite autrement. Un cargo le conduit sur les côtes africaines, et il vit ensuite à Paris, où il est sans le sou et exerce mille petits métiers. Sa description de Pigalle compte parmi les pages les plus étonnantes du texte, quand il raconte les night-clubs qui embauchent des musiciens de jazz et des chanteuses noir·e·s, élevé·e·s alors au rang de vedettes.
Ce témoignage de la façon dont vivent et sont perçu·e·s les noir·e·s en France dans les années 1920 rappelle le travail de Claude McKay, écrivain afro-américain qui a passé un an à Marseille et en a tiré un roman autobiographique, Banjo (L’Olivier, 2015). Hughes parle d’ailleurs brièvement de lui dans son livre, avec admiration. Car on croise ici tout un monde d’intellectuel·le·s noir·e·s, surtout quand après son épisode européen, l’auteur rentre en Amérique, étudie un temps à l’université et s’installe à Harlem. Il raconte alors le mouvement de la Renaissance noire, cette effervescence culturelle et politique portée par des écrivain·e·s et artistes engagé·e·s.
Des anecdotes étonnantes, des personnages atypiques, une façon inimitable de railler le pouvoir blanc obtus autant qu’une certaine bourgeoisie noire pleine de préjugés de classe, tel est le talent de Hughes, forgé au cours de son enfance ballottée et de sa jeunesse aventureuse.
Mais le moment le plus saisissant se situe à la fin du livre, alors qu’il a une trentaine d’années. Une vieille dame très riche qu’il aime beaucoup, parfaite représentante de la grande bourgeoise blanche new-yorkaise, mécène amie des arts et des lettres, le congédie brutalement lorsqu’il ne lui convient plus. Lui rappelant que, même devenu un poète reconnu, un noir reste un noir dans l’Amérique des années 1930.
Langston Hughes : The Big Sea. Une autobiographie (Seghers), traduit de l’anglais (États-Unis), 400 pages, 22,50 €.
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