Une femme accompagne son amie qui va mourir. Dans “Quel est donc ton tourment ?”, l’autrice poursuit sa réflexion sur la façon dont, intimement et collectivement, nous envisageons la mort.
C’est l’histoire de deux amies parties séjourner à la campagne. L’une, atteinte d’un cancer, a décidé de mettre fin à ses jours dans cet endroit paisible et a demandé à l’autre de l’accompagner. Mais, arrivée sur place, elle découvre qu’elle a oublié d’emporter les pilules létales, il faut donc repartir en sens inverse et se cogner de nouveau tout le trajet. Voici comment Sigrid Nunez parvient, avec un tel sujet, à introduire de petits moments d’humour pur.
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Quel est donc ton tourment ? forme un diptyque avec L’Ami (Stock, 2019), métaphore sur le deuil où une femme héritait du chien – encombrant – d’un proche qui venait de se suicider. On pourrait même penser qu’il en constitue en quelque sorte un antépisode. Ici, une narratrice-écrivaine accepte de rester aux côtés d’une amie, condamnée par la maladie, jusqu’au jour où elle décidera de disparaître. Le livre est l’évocation, chargée d’émotions, de cette parenthèse étrange.
Un réseau de sujets
Nunez fait partie de ces auteurs et autrices qui ont décidé de ne plus s’embarrasser avec la narration traditionnelle à l’anglo-saxonne. Tout autant que son sujet, la construction du livre est fascinante. Elle juxtapose digressions, anecdotes et conversations en apparence sans lien les unes avec les autres, minuscules détails qui prennent sens quelques pages plus loin. Ainsi la narration se dévoile autant par les pensées de sa narratrice que par les témoignages de ses interlocuteur·rices, et tisse un réseau de sujets qui se répondent.
À la fin proche de celle que la narratrice désigne toujours d’un pudique “mon amie”, sans préciser de prénom, s’ajoutent d’autres récits intimes, transformant l’expérience privée en problématique commune et questionnement éthique : comment prendre soin les un·es des autres ?
Les rencontres fortuites et les confessions de son amie sont aussi l’occasion de portraits, histoires de famille construites hors des cadres – une fille qui n’aime pas sa mère et s’en est éloignée dès qu’elle a pu – et qui observent finement ce que signifie, encore de nos jours, vieillir quand on est une femme.
Au-delà de la fin de vie, Nunez propose une réflexion plus générale sur nos comportements collectifs
Contre les adeptes de la pensée positive
Le livre est aussi un questionnement sur le langage, où la narratrice-écrivaine confie son impuissance à écrire sur la mort : “Quels que soient nos efforts pour traduire les choses les plus importantes en mots, on a toujours l’air d’une ballerine en tutu et sabots.”
Au-delà de la fin de vie, Nunez propose une réflexion plus générale sur nos comportements collectifs. Incidemment, la narratrice assiste à une conférence pessimiste à propos de la catastrophe climatique, sujet qui va resurgir à maintes reprises dans un livre écrit avant la pandémie, mais après l’élection de Trump.
L’autrice se montre particulièrement critique, voire acerbe, contre les adeptes de la pensée positive, cette injonction très libérale à se leurrer sur la réalité et à s’imaginer que chacun·e peut trouver en soi la force de vaincre, ce qui n’est qu’une façon de fabriquer du récit héroïque quand la fin est proche.
Quel est donc ton tourment ? de Sigrid Nunez (Stock), traduit de l’anglais (États-Unis) par Mathilde Bach, 265 p., 20,90 €. En librairie le 1er mars.
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