Si quelques perles font scintiller la rentrée littéraire, d’autres sont enfilées consciencieusement par quelques auteurs français qui sombrent dans les pièges de l’académisme. Une tendance (très) lourde.
En ce début de rentrée, on aura assisté au triomphe de la littérature étrangère sur la littérature française – dans la presse, entretiens-fleuves de Jonathan Franzen ou David Grossman, pour une mise en avant moindre des auteurs français. Mais côté littérature française quand même, et c’est cela le pire, on voit triompher un certain académisme. Analyse de ce qui le constitue à travers trois cas.
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David Foenkinos : la littérature Bisounours
Foenkinos, c’est le gentil qui a vendu plus de 300 000 exemplaires de son précédent livre. Comprendre : dorénavant, il aura forcément raison. Dans Les Souvenirs (Gallimard), il est toujours aussi gentil. Il est gentil avec sa grand-mère, avec ses parents, avec les filles, avec son patron qui, lui-même, est gentil avec lui.
Tout le monde est gentil et malgré tout le temps passe, les gens vieillissent, voire meurent. Bref, la vie, c’est moche… Mais parfois, c’est beau aussi. En somme, de l’enfilage de perles qui se croit grave en jouant sans cesse sur la corde sentimentaliste, badigeonné de mélasse Amélie Poulain. De Morand à Sagan, la littérature française nous a appris qu’il était plus chic de souffrir avec légèreté, d’être grave avec frivolité. Foenkinos sera parvenu à faire de cette veine élégante un académisme : une forme tellement creuse qu’elle en a anéanti le fond.
Charles Dantzig : le trait d’esprit
Est-ce parce qu’il signait Pourquoi lire ? en 2010, manifeste pour la lecture (qui le contredira, franchement) ? Charles Dantzig semble être devenu l’incontournable grand monsieur des arts et des lettres. Il se sait intelligent et pense que cela suffit à faire de lui un romancier. Avec Dans un avion pour Caracas (Grasset), on se retrouve même coincé avec son cerveau le temps d’un vol entre Paris et l’Amérique latine, c’est dire. Car quand Dantzig pense, il accouche d’une foule de formules, aphorismes, réflexions qui « font mouche ». Là encore, un académisme : croire qu’une succession de bons mots et autres traits d’esprit suffit à faire de la littérature. Exemple : « Si le commandant de bord demeure dans un silence de Dieu, la chef de cabine parle aussi souvent qu’un prêtre. » Si seulement l’auteur avait quelque chose à dire…
Alexis Jenni : la fresque pompière
Un pavé + la guerre + du sérieux : attention, vous tenez un « chef-d’oeuvre » ! On le sait depuis au moins Les Bienveillantes de Jonathan Littell. Alexis Jenni a retenu la leçon, qui livre ici un premier roman, L’Art français de la guerre (Gallimard), marketé dans le même genre en plus grandiloquent. Car l’auteur semble s’acharner à tomber dans tous les académismes : emploi continu du passé simple pour faire « classique » ; phrases alambiquées pour prouver que c’est « écrit » : « L’immensité liquide tout obscure battait les flancs de la pharmacie de nuit. »
Sauf que tout ça ne camoufle pas une construction simplette : alternance de scènes de guerre et de chapitres de commentaires d’un narrateur tellement égocentrique que, lorsque sa gorge le démange (suite à « l’incursion d’un virus »), il y voit le symptôme de tous les maux de la France. Heureusement qu’il se détend en peignant de la calligraphie… Ringard ? Boursouflures et autres vanités stylistiques au service d’un truisme : la guerre, c’est mal. Une fresque pompière.
Nelly Kaprièlian
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