Jolie môme amoureuse de l’écriture, membre du collectif Catastrophe, la jeune auteur signe un premier roman, L’Abandon des prétentions, portrait tendre et moqueur de sa mère retraitée. Une entrée en littérature réussie.
Blandine Rinkel a les yeux immenses et clairs des enfants curieux. Comme eux d’ailleurs, elle déchiquette l’emballage de son sucre en petits morceaux presque égaux. Le stress, peut-être. “D’habitude, c’est moi qui pose les questions”, souffle-t-elle.
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A 25 ans, la jeune femme fait “du journalisme par-ci par-là”. Le Matricule des anges, Citizen K, Inferno ou Gonzaï. “Un prétexte pour écrire”, affirme-t-elle. L’écriture ? Depuis qu’elle est arrivée à Paris, il y a sept ans, elle s’y astreint chaque jour. Articles, posts Facebook “longs, laborieux, relou même” et pas moins de sept blogs privés. “L’important, c’est d’avoir au moins un paragraphe qui reste à la fin du jour. Sinon, j’ai l’impression d’avoir perdu ma journée.”
Jusqu’à peu, le livre devait s’appelait “65”, comme 65 ans
Des billets numériques et des paragraphes épars, ça finit parfois par faire des livres. L’Abandon des prétentions est le troisième que Blandine Rinkel achève, le premier qu’elle publie. Elle y esquisse le portrait de Jeannine, sa mère. Prof retraitée d’un lycée de la banlieue de Nantes, la sexagénaire vit seule dans une maison de la ville de Rezé, prononcez “Reuzé”.
Amatrice de rencontres bigarrées (elle se retrouve à faire des crêpes à un futur jihadiste) et de jeux de mots “pourris”, la mère oublie souvent de raccrocher le téléphone quand elle laisse un message à sa fille. Trous de serrure phoniques sur une intimité de solitude et de banalité. “C’est ça qui m’a intéressée, dit l’auteur, ce côté banal qui dit quelque chose de plus universel sur ces femmes seules et retraitées.” Jusqu’à peu, le livre devait s’appelait 65, comme 65 ans.
“Comparée à la vie flamboyante de mon père, celle de ma mère peut paraître plus petite”
Mariée, puis divorcée d’un aventurier bigger than life, Jeannine a toujours paru symboliquement diminuée aux yeux de sa fille. A l’enfant Blandine, devenue l’écrivain Rinkel, de convoquer le pouvoir des mots pour réparer l’injustice : “Comparée à la vie flamboyante de mon père, celle de ma mère peut paraître plus petite. Ça me rendait triste. Alors je me suis dit que s’il y avait une existence dont la littérature a quelque chose à dire, dont la littérature peut faire autre chose que ce qu’elle est au premier regard, c’était celle de ma mère.”
Enfant des 90’s, Blandine Rinkel a grandi dans une impasse. “Au sens propre comme au figuré.” Dans la voie sans issue de Rezé, elle est une petite fille unique, silencieuse et solitaire. Pas de frère, pas de sœur, pas de voisins. Les mercredis après-midi, elle pratique la comédie musicale ou va à la bibliothèque. Elle y découvre la comtesse de Ségur d’abord, puis Henry Miller, Nabokov et Robert Musil. Elle veut chanter et lire. Mais à 18 ans, il faut choisir. Alors l’adolescente opte pour les lettres. Direction Paris et la prestigieuse prépa d’Henri-IV… où elle ne mettra pas un orteil.
La frénésie d’une jeunesse parisienne
“Violentée par le capital culturel des Parisiens”, la jeune femme qui ne connaît pas Godard a un “complexe d’infériorité”. Alors elle achète un dictionnaire du cinéma, s’inscrit en double licence lettres-philo à la fac et capitalise sur ses 177 centimètres de beauté brute pour devenir mannequin, “pour l’argent”. A la quiétude d’une enfance provinciale succède la frénésie d’une jeunesse parisienne.
De sa mère, Blandine a hérité du goût des rencontres ; de son père celui de l’aventure : sur un coup de tête, elle file un an à Londres, puis fait une thèse sous la houlette de Marielle Macé (qui vient de publier Styles – Critique de nos formes de vie chez Gallimard) et de la chanson sous celle de Burgalat. Pour le bouquin, c’est un coup de foudre pro pour son éditrice, Stéphanie Polack, qui la décide à sauter le pas.
De rencontres intimes en affinités spirituelles, Blandine Rinkel a fini par rassembler autour d’elle une quinzaine d’autres “enfants du siècle”, qui font vivre depuis deux ans le collectif Catastrophe. Une troupe d’intellos et d’artistes qui a “grandi dans une impasse”, au figuré. A moins de 30 ans, tous ont été bercés au refrain apocalyptique du “plus de travail, plus d’argent, plus d’espoir”.
“Puisque tout est fini, tout est permis”
Mais à la résignation imposée, eux préfèrent opposer une nouvelle manière de voir et de vouloir le monde : “Puisque tout est fini, tout est permis”, scandaient-ils dans une tribune à buzz relayée par Libération en septembre. Un manifeste politico-artistico-utopique qui prône le système D, le retrait dans “les marges joyeuses” de la société et le décloisonnement des genres pour favoriser l’interrogation, l’échange et le dialogue.
Après un premier ep chez Tricatel, le bouillonnant collectif va bientôt faire paraître une revue et un essai. En attendant, Jeannine, qui vient de finir de lire L’Abandon des prétentions, a envoyé un message à sa fille. Elle a juste écrit : “Emue, émue, émue…”
L’Abandon des prétentions de Blandine Rinkel (Fayard), 256 pages, 18 €, sortie le 11 janvier
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