Dès la fin des années 1950, le poète-traducteur fuit la vie parisienne pour la Bretagne. Mort en 1978, l’auteur des Papiers collés a produit une œuvre inclassable dont l’intérêt ne se dément pas.
“Moi, j’ai pris ma retraite vers 18 ou 19 ans.” Dans une interview, en 1971, Georges Perros a cette formule incongrue. Elle résume à elle seule à la fois le sens de l’humour et la vie d’un homme qui a préféré l’isolement au carriérisme.
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Georges Perros, né Georges Poulot à Paris en 1923, est d’abord un jeune comédien, sociétaire de la Comédie-Française, qui renonce pourtant assez vite au métier d’acteur. Il préfère devenir lecteur de manuscrits pour le TNP de Jean Vilar, rédiger des critiques et analyses littéraires à la NRF, traduire Tchekhov et Strindberg. La vie parisienne l’ennuie et, à la fin des années 1950, il décide de prendre définitivement le large et de s’installer avec femme et enfants en Bretagne, à Douarnenez.
Perros ne triche pas, préfère la concision au lyrisme
Il ne s’agit pas d’une simple anecdote biographique. Ce choix délibéré de se retirer des mondanités est déterminant. “Je me suis fait un non”, dira-t-il avec finesse. Car cet homme en quête de solitude n’arrête pas de travailler, mais le fait différemment de tout le monde, dans un refus systématique des honneurs et de la notoriété.
Un peu comme Robert Walser, autre auteur solitaire, c’est un principe de vie mis en écriture. Que ce soit dans ses lettres, ses articles, ses notes ou ses poèmes, Perros ne triche pas, préfère la concision au lyrisme, et va à l’essentiel.
“Ce serait très bien si l’auteur avait du génie”
Ses jugements en tant que lecteur de manuscrits, qu’il rédige à l’intention de Jean Vilar, sont souvent lapidaires – et très drôles. Ainsi à propos d’une pièce intitulée L’Inconnu : “C’est lui et il le restera longtemps.” Ou encore à propos d’une autre : “Ce serait très bien si l’auteur avait du génie.”
Dans ses critiques littéraires, publiées dès le début des années 1950 dans la NRF, il fait preuve d’un même engagement total dans ses enthousiasmes, et son approche des auteurs du Nouveau Roman révèle l’homme de lettres attentif qu’il est. Ainsi quand il dit de Nathalie Sarraute qu’elle “procède par flaques d’écriture, reprend le thème, le pousse, l’exténue pour lui faire rendre l’âme”.
La transcription libre d’une pensée en vagabondage
Georges Perros est également célèbre pour sa correspondance monumentale, publiée après sa mort, avec plusieurs grandes figures du monde intellectuel de son temps, tel Jean Paulhan, Gérard et Anne Philipe, Michel Butor. Là encore, sa phrase est brute, franche, il ne s’embarrasse pas de belles tournures. Surtout, Perros ne date en général pas ses lettres, comme s’il entretenait avec ses interlocuteurs une conversation ininterrompue.
Mais l’essentiel de son temps, il le passe seul et à prendre des notes. Face à la mer, dans un bistrot sur le port où il a ses habitudes, sillonnant les petites routes du Finistère sur sa moto, il rédige de courts textes qui constituent la singularité de son travail. Ainsi sont jetées sur des bouts de papier les fulgurances qui le traversent, les pensées qui l’habitent.
“Je me fais des idées blanches”
Plusieurs fois, Gallimard lui propose des contrats pour publier un choix de ces écrits, et plusieurs fois Perros refuse. Il finira par accepter, et ce sera les Papiers collés, deux volumes sortis en 1960 et en 1973, puis un dernier à titre posthume en 1978.
Difficiles à classer dans un genre littéraire, ni recueils d’aphorismes ni journaux, ils recèlent de petits bijoux d’émotion, sorte de transcription libre d’une pensée en vagabondage – “Je me fais des idées blanches”, “Aucun peintre n’a jamais pris la mer” – mais aussi des réflexions sur Sartre, Valéry ou Ponge, des pages sur la Bretagne vue comme un mystère à déverrouiller.
« Une vie ordinaire », roman-poésie de 4000 octosyllabes
Enfin, Georges Perros est aussi et avant tout un poète. En droite ligne de ses Papiers collés, sa poésie est un art de l’immédiat, une pure sensation attrapée au vol. Travail précis sur l’essence même du langage, elle est le cœur même de l’œuvre de l’écrivain, et son travail poétique le plus étonnant est assurément Une vie ordinaire (1967).
Ce roman-poésie, ou poème autobiographique de 4000 octosyllabes échappant là encore aux genres et aux étiquettes, explore une façon d’être humain. “Vivre est assez bouleversant/ quoique médisent nos sceptiques/ De quoi demain sera-t-il fait/ ô plus on va plus on le sait/ car enfin le jeu perd sa mise/ et les dés meurent dans nos mains.”
Georges Perros est mort en 1978, et ses textes continuent aujourd’hui encore de susciter l’enthousiasme, tel celui de Miossec qui, en 2011, a créé un spectacle à partir d’un choix des poèmes.
Œuvres (Gallimard/Quarto), 2017
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