Remarqué avec L’Esprit de l’ivresse, Loïc Merle s’intéresse à la notion d’“art dégénéré” dans un roman nerveux, ode à Van Gogh et Beckett.
La Vie aveugle est un titre emprunté à Marguerite Duras décrivant “un spectacle inoubliable, celui de la vie aveugle”. Sous ce signe hautain et pour partie indéchiffrable, Loïc Merle entreprend, à l’aveugle, sa randonnée. Un premier voyage nous ramène en juillet 1937 à Munich, au cœur de l’exposition dite d’art dégénéré où les nazis exposèrent les “preuves” que l’art moderne était un crime. Un second voyage, contemporain mais pas moins mental, nous conduit, toujours en Allemagne, à Heidelberg, où un écrivain visite un peintre renommé, Auguste Strahl, présentement en peine d’inspiration.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop","device":"desktop"}
Entre les deux voyages, la peinture fait le lien. Celle de Van Gogh, dont un des autoportraits fut montré lors de l’exposition Art dégénéré ; celle de Strahl, dont par ailleurs on n’apprend pas grand-chose, à supposer que ce “célèbre” Strahl existe. Mais de l’Allemagne nazie à l’Allemagne contemporaine circule aussi une détestation colossale, exagérée, injuste mais somme toute fascinée.
Si Loïc Merle n’a pas de mots assez durs (c’est le moins qu’on puisse attendre) pour décrire l’ignominie nazie, il est tout autant en verve colérique pour qualifier Heidelberg, “cité de pestilence” qui aurait le don “d’écraser aussi bien les artistes que les scientifiques”. Apogée de cette diatribe, la visite d’un amphithéâtre titanesque édifié par les nazis sur une colline dominant la ville pour y célébrer leur idéologie.
Le regard de Van Gogh
Ces accents de rage évoquant ceux de Thomas Bernhard bombardant Salzbourg de ses invectives tragicomiques, une autre piste se dessine, qui pose “tout simplement” la question de “l’œuvre qui nous sauve” et rendrait moins aveugles nos vies de taupes. Et Loïc Merle de souligner, paradoxe d’épouvante, que l’exposition de 1937, tel un ennemi intérieur subjuguant le projet nazi, fut aussi, comme à son corps défendant, une des plus importantes expositions d’art moderne du XXe siècle.
Le sombre Loïc Merle, soudain optimiste, en vient alors à imaginer qu’une jeune visiteuse de l’exposition a croisé le regard de Van Gogh, et que ce croisement a bouleversé son existence. Et même, plus romanesque et, partant, encore plus encourageant, que Beckett aurait pu lui aussi être un visiteur visité par Van Gogh, aspiré et inspiré, sauvé et perdu, tel un chien de chasse qui se mettrait “à renifler bruyamment, sur la piste de l’art vrai”, celui qui inquiète autant qu’il apaise.
La Vie aveugle (Actes Sud), 142 pages, 15 €
{"type":"Banniere-Basse","device":"desktop"}