Autrice du premier roman queer inuit, Niviaq Korneliussen revient nous donner des nouvelles de la jeunesse (larguée) du Groenland.
Elle avait dynamité la littérature nordique avec Homo sapienne (2017), premier roman inuit queer de l’Histoire. Après la description de l’étonnante vie nocturne à Nuuk, capitale du Groenland, Niviaq Korneliussen signe aujourd’hui un texte ample, alerte poignante sur les maux dont souffre son pays.
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La romancière, née en 1990, met de nouveau en scène la jeunesse urbaine de Nuuk, libre, polyglotte et ouverte sur le monde, mais aux prises avec mille difficultés. Sa narratrice, un peu larguée, est amoureuse de sa petite amie mais s’interroge sur leur avenir, et traîne son mal-être quand elle est acceptée dans une université du Danemark (pays dont dépend administrativement la région autonome du Groenland). Au lieu d’être une chance, ce séjour l’égare encore plus, en particulier à cause du racisme à peine voilé qu’elle affronte. Un décès précipite son retour et la conduit jusqu’à un village isolé dans le Groenland de l’Est. Alors, de vieux démons refont surface.
Le Groenland est le lieu au monde où le taux de suicides est le plus élevé. Pour aborder ce sujet, qui s’avère très politique, l’autrice a construit un roman presque entièrement constitué de dialogues, où les mort·es envahissent insensiblement les conversations, planent sur le texte et enserrent peu à peu la narratrice. Autour, de magnifiques paysages et l’inimitable lumière des lieux, que suggère l’autrice en quelques phrases sobres.
Identités
Dans cet étrange récit d’initiation, il est toujours question d’identité, générationnelle, sexuelle, familiale, régionale, ethnique et surtout linguistique. Korneliussen avait écrit son premier roman en groenlandais, elle a choisi de rédiger celui-ci en danois émaillé de termes de sa langue natale. Une façon d’échapper aux assignations et combattre les clichés avec un roman où les Danois·es du continent sont moins modernes que les Groenlandais·es, qui ne forment d’ailleurs pas un groupe homogène, et les questions de genre sont traitées de manière inattendue dans les traditions locales. Les moments de rencontre, ou de rupture, entre les jeunes et leurs parents ou grands-parents sont particulièrement émouvants. Ainsi, l’autrice s’attache à mettre en écriture toute la complexité d’une population, et son propos est teinté de désespoir : “Le Groenland est condamné à mort”.
La Vallée des fleurs, de Niviaq Korneliussen – traduit du danois par Inès Jorgensen (La Peuplade), 384 pages, 21 €
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