Dans son nouveau récit, Jean Rolin arpente la grande couronne d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) à Bondoufle (Essonne).
“Lorsque Dieu a créé le lapin, s’attendait-il à ce qu’on le retrouve si nombreux, de nos jours, à Aulnay-sous-Bois ?” Ainsi commence le nouveau livre de Jean Rolin, La Traversée de Bondoufle. Il est huit heures du matin et l’écrivain remarque donc, sur le terre-plein central du rond-point de l’Europe, plusieurs dizaines de lapins “assis dans la même position qu’adoptent volontiers leurs congénères en peluche”.
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Un sentiment d’étrangeté s’empare de nous : mais que font ces animaux dans ce lieu sans âme ? Se seraient-ils perdus ? On a toujours un plaisir immense à lire l’inlassable marcheur et merveilleux écrivain qu’est Rolin, auteur de plus d’une vingtaine d’ouvrages dans lesquels il explore des territoires toujours nouveaux, lieux connus ou anodins (zones industrielles, bordures d’autoroute, etc.) pour en révéler la singularité, un pied dans le présent, les rencontres inopportunes qu’il y fait et l’autre dans l’Histoire, les traces d’un passé oublié qu’il fait ressurgir.
D’Aulnay-sous-Bois à Bondoufle
Son champ d’observation se situe cette fois aux alentours de la capitale. “L’idée m’est venue de suivre tout autour de Paris, écrit-il, sa limite ou du moins la ligne incertaine, émiettée, soumise à de continuelles variations, de part et d’autre de laquelle la ville et la campagne, ou les succédanés de l’une et de l’autre, se confrontent”. Il arpente des champs “qui seront bientôt mis sens dessus dessous par le chantier du Grand Paris Express”, il tombe sur des terrains de golf, des installations militaires à demi enterrées, des Ephad. Beaucoup de décharges sauvages. Cette France périurbaine est aussi celle des populations reléguées à la marge, “gens du voyage dans des caravanes aux côtés du site non désamianté d’une ancienne usine”, ou encore cet hôtel “qui n’abrite plus que des demandeurs d’asile ou des sans-abris”. Un stade accueille un match de cricket opposant deux équipes de jeunes Pakistanais originaires de Sarcelles.
Rolin, au fil des livres, affine son (très grand) art de l’observation. Le réel qu’il scrute est de plus en plus transfiguré par des métaphores, allégories, personnifications audacieuses et cocasses. Il imagine, sous la chaussée de la D370, “une arène propice à des combats de fauves et de gladiateurs”. Un troupeau de vaches sur une prairie lui évoque “une force d’interposition des Nations unies entre deux territoires occupés par des parties en conflit”. Dans un paysage littéraire dominé par les bonnes causes et les postures, la voix de ce Daniel Defoe du XXIe siècle est plus salutaire que jamais.
Jean Rolin, La Traversée de Bondoufle, P.O.L, 199 pages, 13,99 euros
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