Selon l’Américaine Elaine Sciolino, la séduction serait une spécialité française. Pour Mona Chollet, une injonction qui vise à enfermer les femmes dans un rôle décoratif. Le désir de plaire : une arme, mais contre qui ?
Les Américains adorent la France – ce qu’ils n’aiment pas, ce sont les Français. Ils aiment le vin, la cuisine, la couture, le parfum, cet art de vivre où les Français excellent et qui participe à rendre l’existence voluptueuse, mais ce qui les crispe, c’est l’esprit qui va avec : la séduction. Attention, warning, méfiance : si la séduction reste un art d’enchanter, de rendre le rapport à l’autre plus charmant, le mot rimerait aussi avec mensonge et manipulation, puis très vite avec adultère et trahison. Sans compter qu’avec l’affaire DSK, la « séduction » a pris un sens plus grinçant, celui d’abus et de harcèlement.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
La séduction : un art, une guerre
Le livre de l’Américaine Elaine Sciolino, ex-reporter de guerre et correspondante du New York Times à Paris, a fait beaucoup de bruit à sa sortie dans les pays anglo-saxons en juin 2011, soit en pleine « affaire ». Elle consacre d’ailleurs un chapitre aux hommes politiques et à la séduction dans lequel passe Dominique Strauss-Kahn. On n’y apprend pas grand-chose. Plus intéressants sont ces témoignages d’hommes et de femmes, plus ou moins célèbres, sur ce qu’est la séduction à la française : un art, une guerre. Il faut savoir montrer et cacher, dire et se taire, suggérer et comprendre, jouer l’artifice contre le naturel, flinguer toute velléité de spontanéité, et tout cela sans prendre d’aspirine, et pire encore, sans même forcément passer à l’acte.
Alors à quoi bon ?, s’interroge notre Bécassine perdue dans une France aux allures de dîner chez la fille naturelle de Sade et de Nadine de Rothschild.
« La séduction est-elle un moteur de la société française ? Existe-t-il aussi un côté obscur qu’on pourrait appeler antiséduction, une perversion de la séduction qui accorde plus d’importance au processus qu’au résultat ? Enfin, une France sans séduction serait-elle condamnée à mourir ? »
De moins en moins puissante, la France ne conserverait-elle son prestige international que grâce à cette séduction qui s’exporte en produits dérivés (la mode, le parfum, etc.) ? Si Elaine Sciolino pose les bonnes questions, son enquête reste hélas trop teintée de ses a priori typiquement américains contre les Français. Ils seraient charmeurs, donc frivoles, menteurs, trompeurs, quand les Américains sont spontanés, honnêtes, directs. Si le trouble est une spécialité érotique française, la droiture amoureuse serait l’apanage des Américains. Si c’était aussi simple, toute femme sensée aurait au moins deux maris.
Ce que son livre révèle en revanche de fascinant, c’est le portrait d’une société compassée et dépassée, croyant s’arrimer encore à la sophistication libertine du XVIIIe siècle alors qu’elle s’englue dans les codes bourgeois des années 50. Peut-être parce que la plupart des personnes interviewées appartiennent à la grande bourgeoisie et à une certaine tranche d’âge (de 50 ans au trépas), leurs propos trahissent une société patriarcale ennuyeuse, où les hommes et les femmes ne pourraient vivre dans une pseudoharmonie égalitaire qu’au prix de règles tombées en désuétude aux Etats-Unis.
La France, exclusivement aux hommes?
La séduction ne serait-elle qu’un vernis badigeonné sur un rapport de force entre les sexes, qu’il soit amoureux ou sociétal ?
« La célébration des rapports de séduction à la française, que l’on a vue ressurgir en même temps que la condamnation du ‘puritanisme américain’ lors des affaires Polanski et Strauss-Kahn en 2009 et 2011, traduit le désir de maintenir les femmes dans une position sociale et intellectuelle subalterne », écrit la journaliste et essayiste Mona Chollet dans son nouvel essai-manifeste.
Ce qu’avait révélé l’affaire DSK, au-delà de la vie privée d’un homme public, c’était une France dont le pouvoir économique, médiatique et politique appartient encore trop exclusivement aux hommes. Quarante ans après la vague féministe, les femmes se retrouveraient plus que jamais soumises à une injonction à la séduction qui les enferme insidieusement dans les rôles d’objets auxquels elles avaient tenté d’échapper.
C’est la thèse que développe Chollet dans Beauté fatale. Injonctions à être jeune, mince, belle, bien habillée, parfumée, sexy, assenées cette fois par le capitalisme via la presse et leurs étendards, les actrices et les mannequins, qui enferment les femmes dans un monde miniature (les vêtements, le maquillage, la décoration) limité à leur personne. « Aux hommes l’abstraction, la pensée, le regard, les affaires publiques, le monde extérieur ; aux femmes le corps, la parure, l’incarnation, le rôle d’objets de regards et de fantasmes, l’espace privé, l’intimité. »
On peut épouser certaines des thèses de Chollet, ou certaines questions posées par Sciolino, et pourtant rester sur sa faim. L’incrédulité presque moralisatrice de l’une, l’exaspération parfois simpliste de l’autre ne convainquent pas complètement. « Non, décidément, ‘il n’y a pas de mal à vouloir être belle’. Mais il serait peut-être temps de reconnaître qu’il n’y a aucun mal non plus à vouloir être. »
Certes, mais peut-être manque-t-il, dans le texte de Chollet, une interrogation au sujet des ressorts complexes du « féminin ». Peut-être manque-t-il tout simplement un troisième essai qui interrogerait l’émergence, la possibilité et la viabilité d’une nouvelle génération qui veut les deux. Séduire et être. La frivolité et la profondeur. Avoir un cerveau américain dans certaines situations et délicieusement français dans d’autres – et le porter de préférence dans sa boîte crânienne, pas dans son it-bag.
Nelly Kaprièlian
La Séduction – Comment les Français jouent au jeu de la vie d’Elaine Sciolino (Presses de la cité), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Véron, 368 pages, 20 euros; Beauté fatale – Les nouveaux visages d’une aliénation féminine de Mona Chollet (La Découverte), 237 pages, 18 euros.
{"type":"Banniere-Basse"}