Dans son nouveau livre « Un monde meilleur ?”, le sociologue Thierry Venin se demande comment survivre dans un monde menacé par l’inflation numérique. Une interrogation salutaire.
A l’heure du lancement de la Grande Ecole du numérique, une initiative gouvernementale qui “entend répondre aux opportunités d’emploi dans le secteur du numérique”, Thierry Venin s’interroge sur les bénéfices réels de la révolution informatique pour le monde du travail, et pour la société entière. Inquiet de ce qu’il appelle “la pandémie du stress au travail”, le sociologue propose une réflexion sur la place de l’objet numérique.
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Les nouvelles technologies sont généralement associées à une évolution positive, mais signifient-elles réellement plus de productivité ?
“Nous nous sommes engouffrés dans la révolution numérique sans en mesurer aucunement les conséquences sur le travail », affirme-t-il.
« Nous ressemblons toujours plus à un bogue trop lent entre deux machines »
Dans son ouvrage, nourri de témoignages largement centrés sur l’univers des cadres,Thierry Venin s’attache à dénoncer l’environnement anxiogène dans lequel une partie du monde du travail évolue. Une juriste raconte ainsi que sa vie est « rythmée par les e-mails incessant qui « tombent » à toutes heure sur son Blackberry« .
» [Le Blackberry] fait même partie du pack de bienvenue. Un cadeau empoisonné. C’est devenu un réflexe, un prolongement de moi-même. Je me réveille à 7 heures avec mon Blackberry que je n’éteins jamais. «
L’auteur utilise aussi l’exemple de la panne informatique du réseau d’Orange pendant deux jours en juillet 2012.
Des travailleurs en situation de dépendance
“Le drame est tel qu’on ne parle pas d’une panne mais d’une ‘méga panne’, une ‘panne majeure, rarissime’ qui, privant 26 ou 27 millions d’abonnés de la téléphonie mobile d’Orange, a vite pris valeur de cataclysme national « .
Pour montrer la dépendance des utilisateurs, Thierry Venin évoque également la panne internationale du service de stockage Dropbox: “c’était du pétage de plomb et les messages sur les forums étaient tous des appels au secours ».
Quelle est la valeur ajoutée de l’homme ?
« Cet environnement numérique qui innerve toujours plus profondément nos sociétés questionne la place de l’homme, interroge sa valeur ajoutée dans un système où nous ressemblons toujours plus à un bogue trop lent entre deux machines à algorithmes universels. »
L’alourdissement des tâches, le manque de temps pour les accomplir, les cadences infernales engendrées par les TIC ou encore les interruptions fréquentes, liées aux TIC, créent selon l’auteur un environnement de travail stressant, parfois frustrant, loin des conditions optimales de productivité.
L’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail de Bilbao, en Espagne, a plusieurs fois montré que le stress, et les risques psycho-sociaux au travail, affectaient, outre l’épanouissement de l’employé, la productivité d’une entreprise.
Les TIC en toc
Thierry Venin propose quelques pistes de réponses. La première étape est d’identifier les “pièges » d’une surdose de numérique au travail, et sortir « d’une posture néopositiviste » qui est “hélas pour le moment l’attitude la plus couramment rencontrée”. Trop d’informations, trop de mails et autres sollicitations : on emporte notre bureau partout. « Il n’y a d’ailleurs plus rien à « amener à la maison » physiquement puisque tout se traite électroniquement ».
“Le devoir de déconnexion”
Preuve s’il en fallait que les inquiétudes liées à la révolution numérique dans l’entreprise sont un sujet d’actualité, Bruno Mettling, ex-directeur des ressources humaines d’Orange vient de rendre à Myriam El Khomri, toute nouvelle ministre du Travail, un rapport sur les “transformations numériques et la vie au travail”.
Dans ce rapport Bruno Mettling dénonce le “surcharge informationnelle et communicationnelle” qui peut se révéler “contre-productive en faisant intrusion dans la vie privée des salariés”. Cette “infobésité” “pose en creux la question des risques psychosociaux”
Pour Thierry Venin ce rapport “pour peu qu’il ne prenne pas la poussière sur un bureau”, rejoint ses propres propositions. Pour le chercheur, le « droit à la déconnexion« , c’est à dire le non usage de mails professionnels après une certaine heure, reste encore à « inventer ».
Gérer le déluge de mails
Entre les accusés de réception et les messages qui ne vous concernent pas directement, les avalanches de mails au quotidien est l’un des problèmes majeurs dont traite Thierry Venin. Il note des « stratégies empiriques » pour mieux gérer le « déluge ».
« Certains commencent par supprimer tout ce qu’ils estiment inutile selon l’objet ou l’expéditeur. D’autres jouent avec la mise en caractère gras de la fonctionnalité lu/non lu ou l’utilisation des indicateurs de suivi pour le traitement de mail urgents. On peut encore prendre le temps de stocker les e-mails dans des dossiers référencés […]. « Si je ne suis pas le destinataire principal, je jette. » Cette stratégie radicale est bien sûr à rapprocher du statut de la personne dans l’entreprise. »
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