Plusieurs personnages transgenres ou non binaires sont au centre de romans passionnants. Comme si le sujet interrogeait forcément le genre romanesque lui-même.
Alana S. Portero en Espagne, Imogen Binnie aux États-Unis, Geneviève Damas en Belgique, Kim de L’Horizon en Suisse germanophone. Chacun·e place au centre de leurs romans les questions de genre : de styles différents, leurs textes ont en commun de mettre en scène des personnages queer éloignés de l’image de victimes à laquelle la littérature les a parfois cantonnés.
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Portero et Damas reconstituent le long parcours d’une femme transgenre, Imogen Binnie un moment de crise dans la vie de l’une d’elle, Kim de L’Horizon signe une autofiction avec un·e narrateurice non binaire. Et ce choix semble aussi appeler des choix formels originaux pour parvenir à dire la fluidité de genre dans une langue pourtant hétéronormée. Quand la narratrice de Portero raconte son enfance, elle parle d’elle au féminin, puisqu’elle a toujours su qu’elle était une fille, mais les autres personnages lui parlent au masculin, parce qu’à l’époque, elle est encore considérée comme un garçon. L’auteurice non binaire zurichois·e Kim de L’Horizon a opté pour une solution radicale : inventer des néologismes, bousculer les terminaisons, créer des mots. Et chez iel la fluidité s’applique à tout : au genre littéraire, car le livre est tour à tour un essai, un roman, une autofiction et un conte onirique, mais aussi à la langue elle-même car de L’Horizon écrit en allemand, en anglais ou dans le dialecte bernois de sa grand-mère. Quitte à parfois alourdir ou noyer son propos.
Non conforme en société
Il est bien entendu question d’intime dans ces textes, qui tous reviennent d’une façon ou d’une autre sur la façon dont la fluidité de genre a été vécue par la famille des protagonistes, en particulier le Damas, longue lettre émue envoyée au père. Mais le coming out n’est jamais au centre du propos, la question étant plutôt de savoir comment exister au quotidien quand on s’écarte du modèle dominant. Et ces textes ne travaillent pas seulement l’intime, ils sont la description de nos sociétés depuis le regard d’une personne transgenre ou non binaire. Ils montrent la façon dont la fluidité de genre est acceptée ou pas et sont en cela éminemment politiques, particulièrement le Portero, qui rappelle les persécutions subies par les milieux gays madrilènes sous le franquisme.
Et c’est peut-être ce qui est commun à tous ces livres : quelle que soit leur existence et leur pays, ces personnages transgenres ou non binaires ne vivent pas hors du monde. Chaque texte est ainsi une passionnante galerie de portraits, depuis un quartier populaire à Madrid jusqu’à une librairie underground new-yorkaise en passant par le centre de Zurich ou de Bruxelles, chacun fait l’analyse du milieu social dans lequel les protagonistes travaillent et vivent, de celui où ils ont grandi. Et chaque personnage est le fruit d’une histoire plus large, s’inscrit dans un faisceau d’enjeux de classes, hérite d’une histoire, sociale et familiale, sur laquelle chacun·e réfléchit à un moment ou un autre du roman.
Imogen Binnie. Nevada. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Violaine Huisman (Gallimard). 304 pages, 23 €. En librairie.
Geneviève Damas. Strange (Grasset/Coll. Le courage). 180 pages, 18,50 €. En librairie.
Kim de L’Horizon. Hêtre pourpre. Traduit de l’allemand (Suisse) par Rose Labourie (Julliard). 432 pages, 25 €. En librairie le 31 août.
Alana S. Portero, La Mauvaise habitude. Traduit de l’espagnol par Margot Nguyen Béraud (Flammarion). 272 pages, 22,50 €. En librairie.
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