Des clichés, des jeux de mots lourdingues et de la poésie à deux roubles : c’est la recette indigeste des romans de Grégoire Delacourt. Mais pourquoi se vendent-ils comme des petits pains ?
Certains génies contemporains réinventent la roue. Delacourt, lui, a réinventé le roman-photo. Et même, encore plus fortiche, le roman-photo sans photos ! La trouvaille, au moins aussi révolutionnaire que le fil à couper le beurre ou le robinet d’eau tiède (bien que l’oeuvre delacourtienne se rapproche sensiblement de ce dernier), mériterait une médaille au concours Lépine. D’autant que les livres de cet ancien publicitaire correspondent de façon sidérante à la description que Baudrillard donne du concours susnommé, dans Le Système des objets : « C’est toute la bricole du concours Lépine, qui sans jamais innover et par simple combinatoire de stéréotypes techniques, met au point des objets d’une fonction extraordinairement spécifiée et parfaitement inutile. » La phrase semble avoir été spécialement écrite pour définir La première chose qu’on regarde, nouveau best-seller de Grégoire Delacourt, après La Liste de mes envies sorti l’an passé.
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Des « seins parfaits, blancs comme une orange »
Dans le dernier roman-photo sans photos de Delacourt, le sosie de Ryan Gosling, un mécanicien, et celui de Scarlett Johansson, Jeanine Foucamprez de son vrai nom, vivent une histoire d’amour aussi insipide et grotesque que les potiches du magazine Nous Deux. Pas besoin de décrire les personnages : tout le monde sait à quoi ressemblent les deux stars hollywoodiennes. Habile ! Delacourt s’attarde tout de même sur la poitrine de son héroïne, ses « seins parfaits, blancs comme une orange » (coucou Paul Eluard !) et sur les excroissances mammaires en général, comparées à des pastèques, des melons et autres cucurbitacées. Monsieur est poète.
Il est aussi blagueur et amateur de bons mots ( » c’est long une journée à ne rien faire (surtout à Long »), philosophe, dispensateur d’une sagesse pleine d’humanité et d’humilité sous forme d' »aphotruismes » : « On devrait être vu comme on se voit », « L’amour ne se perd jamais »… Et quand il est à cours d’imagination, il fait des descriptions de meubles Ikea. Il meuble, quoi.
Littérature low-cost
Un tombereau de poncifs et de clichés mis au service d’un éloge un brin condescendant de la banalité : voilà la clé du succès de Grégoire Delacourt. Les gens ordinaires peuvent vivre des histoires extraordinaires, nous rassure Delacourt. On peut s’appeler Jeanine, vendre de la charcuterie dans des supermarchés, et être une princesse à l’intérieur. On peut travailler dans le garage d’un bled paumé, porter des caleçons Schtroumpf, boire de la Kro tiède et être un grand seigneur, un chevalier de conte de fées. Le temps d’un livre, la médiocrité de notre quotidien se trouve sublimée. Delacourt refourgue du rêve low-cost et formaté à son lecteur comme on vend des yaourts ou du temps de cerveau disponible à la ménagère de moins de 50 ans. Mais comme les yaourts, les livres de Delacourt sont des produits hautement périssables.
Elisabeth Philippe
La première chose qu’on regarde (JC Lattès), 250 pages, 17 €
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