L’histoire de la narrative nonfiction en douze textes phares, chacun innovant ou poussant encore plus loin, à sa manière, le genre.
1887 : Ten Days in a Mad-House de Nellie Bly
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Première “gonzo” journaliste, la jeune autrice a 23 ans quand elle se fait passer pour folle pour se faire interner dans un asile et décrire de l’intérieur les traitements (dingues) réservés aux internées… pas si folles. Publié d’abord en feuilleton dans le New York World de Joseph Pulitzer, ce sera un immense succès. En 1889, Bly se lancera dans un tour du monde en 72 jours, pour battre le héros de Jules Verne.
10 Jours dans un asile (Points, 2016)
>> A lire aussi : Nellie Bly, la femme qui inventa le gonzo au XIXe siècle
1933 : Down and Out in Paris and London de George Orwell
Une plongée dans les vies précaires en temps de crise économique. George Orwell y fait le récit de la misère à Paris et à Londres en deux parties : d’abord dans les cuisines des restaurants parisiens où il travaille, reconstituant la dure vie des travailleur·euses temporaires ; ensuite il fait le récit de sa vie de SDF à Londres, décrivant tout ce qu’il voit et celles et ceux qu’il côtoie, racontant de l’intérieur la vraie vie des laissé·es-pour-compte.
Dans la dèche à Paris et à Londres (10/18, 2003)
>> A lire aussi : George Orwell par Will Self, un texte exclusif pour Les Inrocks
1948 : Old Mr. Flood de Joseph Mitchell
Grande plume au New Yorker, fasciné par la vie des marginaux et marginales, Joseph Mitchell rend poreuses les limites entre journalisme et fiction avec cet Old M. Flood : récit de la vie d’un vieil homme (fictif) aux abords du marché aux poissons, basé sur tous les types dans son genre que l’écrivain y a rencontrés. Après son grand livre Le Secret de Joe Gould en 1965, le plus romanesque des reporters finira par ne plus rien écrire, tout en se rendant tous les jours à son bureau du New Yorker pendant trente ans.
Old M. Flood (Editions du sous-sol, 2020)
1965 : In Cold Blood de Truman Capote
Romancier célèbre, Truman Capote va enquêter des années sur un fait divers découvert dans un journal : le meurtre de la famille Clutter au Kansas par deux jeunes hommes. Son reportage est publié dans le New Yorker en 1965. Truman Capote fait officiellement entrer le reportage en littérature : appelé “nonfiction novel”, De sang-froid est le livre qui donne ses lettres de noblesse au genre en 1966.
De sang-froid (Folio, 1972)
>> A lire aussi : Pourquoi Capote n’a plus écrit de roman après “De sang-froid”
1966 : Frank Sinatra Has a Cold de Gay Talese
Long portrait de Frank Sinatra pour Esquire mettant en scène l’enquête même de Talese sur son sujet, Sinatra a un rhume est devenu un classique du Nouveau Journalisme et de la creative nonfiction, influençant nombre de journalistes. D’origine italienne, Gay Talese a ensuite passé des années à fréquenter la famille d’un parrain de la mafia new-yorkaise traqué pour Ton père honoreras (1971). Son dernier livre, en 2016, le fascinant Le Motel du voyeur, a défrayé la chronique à sa parution.
Sinatra a un rhume (Editions du sous-sol, 2020)
1967 : Hell’s Angels: The Strange and Terrible Saga of the Outlaw Motorcycle Gangs de Hunter S. Thompson
Hunter S. Thompson se lance dans un reportage sur un gang de Hell’s Angels parmi lesquels il vit, qui le fera connaître comme le meilleur représentant du gonzo journalism – terme inventé par son ami le journaliste Bill Cardoso. Il se met en scène dans ses enquêtes, revendiquant l’ultra-subjectivité et l’emploi de la première personne. Le plus rock.
Hell’s Angels (Folio, 2011)
>> A lire aussi : Hunter S. Thompson, chasseur d’histoires
1967 : Slouching Towards Bethlehem de Joan Didion
Plongée dans la vie des hippies de Haight-Ashbury (San Francisco), ce long reportage raconte la drogue, la musique, les vies marginales et saisit l’émergence d’un mouvement de contre-culture de l’intérieur. Il prêtera son titre à un recueil d’articles et de textes paru en 1968, fondateur du Nouveau Journalisme. Scénariste, romancière, Didion finira par appliquer sa grille d’écriture narrative nonfiction à elle-même et à sa vie avec L’Année de la pensée magique en 2005.
Onze textes du livre original traduits dans L’Amérique – Chroniques (Le Livre de Poche, 2014)
>> A lire aussi : Joan Didion for ever, l’édito de Nelly Kaprièlian
1973 : The New Journalism de Tom Wolfe
L’homme en costume blanc a déjà publié deux livres de narrative non fiction – Acid Test en 1968, enquête autour de Ken Kesey et des Merry Pranksters, et Le Gauchisme de Park Avenue, sur la gauche huppée de New York – quand il édite une anthologie de reportages, dont la préface reste le grand manifeste littéraire du Nouveau Journalisme.
>> A lire aussi : Quand nous discutions journalisme et littérature avec Tom Wolfe
1975 : The Fight de Norman Mailer
Norman Mailer reconstitue le combat qui opposa les boxeurs Mohammed Ali et George Foreman en 1974 à Kinshasa. Romancier et journaliste, Mailer fut de ces écrivain·es qui firent jouer le reportage dans la cour de la littérature.
Le Combat du siècle (Folio, 2002)
2000 : Newjack: Guarding Sing Sing de Ted Conover
Considéré comme un chef de file du Nouveau Nouveau Journalisme, Ted Conover pousse encore plus loin les limites de la narrative nonfiction en se faisant engager pendant un an, en 1997, comme gardien de prison à Sing Sing, prison de l’Etat de New York.
Newjack – Dans la peau d’un gardien de prison (Editions du sous-sol, 2018)
2003 : Random Family: Love, Drugs, Trouble, and Coming of Age in the Bronx d’Adrian Nicole LeBlanc
La journaliste a passé dix ans avec des familles du Bronx pour faire le récit de leur vie à travers deux femmes, entre enfants et survie, drogue et prison. Un document littéraire exceptionnel sur la vie des marges contemporaines du rêve américain.
Les Enfants du Bronx (Editions de l’Olivier, 2015)
2017 : Killers of the Flower Moon: The Osage Murders and the Birth of the FBI de David Grann
On ne présente plus cette grande plume du New Yorker (lire son portrait p. 32). Avec La Note américaine, Grann tourne son art du reportage littéraire vers le passé : enquête dans l’histoire et les archives de l’Amérique pour en révéler l’un des pans les plus sombres et camouflés : les assassinats prémédités d’Indiens et d’Indiennes Osages au début du XXe siècle.
La Note américaine (Pocket, 2019)
>> A lire aussi : “La Note américaine”, chef-d’œuvre terrifiant de David Grann
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