Dans son troisième roman, Cloé Korman met des mots sur l’indicible et met à jour les drames cachés. Lumineux et tragique.
Cloé Korman est une romancière de l’ombre. Sa plume évolue dans les espaces soustraits à la lumière pour raconter les drames en marge. En 2010, avec son premier roman puissant Les Hommes-Couleurs (Seuil, Prix du Livre Inter), elle donne à voir ces migrants mexicains, que plus personne n’ignore depuis Trump, mais qui ont été longtemps les damnés invisibles du rêve américain. En 2013, avec Les Saisons de Louveplaine (Seuil), sa fiction investit les corridors d’une cité de Seine-Saint-Denis, territoire hors champ à l’ombre de la capitale.
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Aujourd’hui, dans un troisième roman au titre et au style pourtant lumineux – Midi – l’auteure inapaisable continue de traquer ce qui échappe à la lumière : les trahisons, les démissions, les lâchetés, les barbaries. D’abord sous les néons d’un hôpital parisien. Service de médecine interne. Claire sauve des vies, et d’autres fois elle ne le peut pas. Un jour, un nouveau patient demande à la voir.
La tragédie cachée sous un T-shirt XXL
Dominique est atteint d’une hépatite, il n’a plus que quelques jours à vivre. Malgré les stigmates du temps et de la maladie, Claire le reconnaît : quinze ans plus tôt, à Marseille, un été, avec son amie Manu, elle a animé un atelier de théâtre associatif pour enfants dirigé par “Dom”.
Alors la mémoire revient, les néons se font rayons. Plein soleil sur la cité phocéenne. Avec les bambins, ils montent une improbable version de La Tempête de Shakespeare, pique-niquent dans les calanques. Mais déjà, des ombres inquiétantes s’invitent : il y a le désir inconstant de Dom pour les deux monitrices, leurs rivalités tues. Et surtout, il y a Joséphine, 10 ans, “petite brune avec la peau pâle, les cheveux coiffés n’importe comment, les dents de devant un peu écartées”. Et les traces de coups sur son corps frêle, les griffures, les excuses et les silences.
La tragédie cachée sous un T-shirt XXL, presque impossible à discerner, difficilement énonçable. A la lumière du souvenir, les lâchetés du passé n’apparaissent alors que plus crues. Détourner le regard, se taire, Cloé Korman le sait, c’est se rendre complice. A la littérature alors, quand les hommes abdiquent, de se dresser face à l’indigne, au mépris, à l’indifférence. Le dernier phare face aux ténèbres.
Midi (Seuil), 224 pages, 18 €
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