Avant la chute du Mur, un symposium en Californie réunit de grandes figures d’intellectuels soviétiques en exil aux Etats-Unis. Tous bouffis de vanité et en conflit sur tout. Un récit décapant de feu Sergueï Dovlatov.
« J’ai 45 ans. A cet âge, tous les gens normaux se sont déjà suicidés ou pour le moins ont définitivement sombré dans la boisson. » Ainsi se présente le narrateur de ce roman, double fictionnel de l’auteur, Sergueï Dovlatov. Car un humour désespéré baigne ce petit livre hilarant, qui met en scène, et sous un jour inhabituel, des intellectuels russes exilés aux Etats-Unis durant la Guerre froide.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Un russe aux Etats-Unis
Né en 1941 en Russie, Sergueï Dovlatov a étudié à Leningrad puis est devenu journaliste et écrivain. Mais sa vie professionnelle a été chaotique et il n’a jamais réussi à faire publier ses textes de fiction en Union soviétique. A la fin des années 1970, il a émigré à New York où il a travaillé pour une revue en langue russe. Il est mort en 1990, l’année de la publication de La Filiale aux Etats-Unis.
L’auteur a la critique acerbe : ces écrivains soviétiques qu’il décrit sont arrogants, ou complètement givrés, alcooliques
Le narrateur du livre, journaliste dans une radio russophone à New York, est envoyé à Los Angeles couvrir un symposium qui rassemble la fine fleur de l’intelligentsia russe en exil. Première surprise à son arrivée à Los Angeles, le chauffeur de taxi est un immigré russe. « L’Ouest sauvage, tu parles ! Les nôtres sont partout. » Mais le plus drôle réside dans la description du colloque.
L’auteur a la critique acerbe : ces écrivains soviétiques qu’il décrit sont arrogants, ou complètement givrés, alcooliques. Chacun pense être plus talentueux que le voisin. Ils voudraient inventer la Russie de demain mais ne sont d’accord sur rien. Entre les progressistes, les nationalistes, les orthodoxes, les catholiques, les juifs, les musulmans, c’est la guerre permanente.
Au-delà du rire, des partis pris idéologiques
Le narrateur nous rapporte les conversations absurdes, les batailles théoriques incompréhensibles, les casseroles encombrantes que certains traînent depuis Moscou, accusés par leurs pairs de compromission avec le régime. Le narrateur est un candide jeté dans la fosse aux lions. L’intelligence de Dovlatov, qui jalonne son texte d’allusions à des faits réels ou des personnages ayant existé, est de proposer une critique politique de ce milieu.
Au-delà du rire, les partis pris idéologiques sont décortiqués et dénoncés, notamment l’antisémitisme. Ainsi la question posée sans complexe par un intervenant après une interminable discussion : « Bref, un juif peut-il se trouver à la tête de l’Etat russe ? » Mais le livre raconte aussi la période où le narrateur vivait encore à l’Est, car soudain dans le symposium surgit Tassia. Il était fou amoureux d’elle au temps de ses années d’étude. Alors il se souvient de sa jeunesse et ces pages sont teintées d’une sorte de nostalgie amusée.
Les éditions de La Baconnière publient également La Zone, le premier roman de Dovlatov. Il y racontait une expérience vécue : durant son service militaire, il avait été gardien de camp pour prisonniers de droit commun. Le texte est accompagné de lettres envoyées à son éditeur américain, où Dovlatov explique entre autres comment il avait dû faire sortir illégalement son manuscrit d’URSS.
La Filiale (La Baconnière), traduit du russe par Christine Zeytounian-Beloüs, 180 p., 18 €
La Zone (La Baconnière), traduits du russe par Christine Zeytounian-Beloüs, 192 p., 14 €
{"type":"Banniere-Basse"}