[Les industries culturelles face au confinement #4] Il est trop tôt pour chiffrer les pertes mais aujourd’hui, chez les éditeurs, on pense surtout au redémarrage.
Retrouvez les précédents épisodes de la série :
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>> Episode 1 : Quel avenir pour les films sortis en salles juste avant leur fermeture ?
>> Episode 2 : Face au virus, les expos virtuelles sont-elles la solution ?
>> Episode 3 : Confinement : voici plusieurs (belles) initiatives du spectacle vivant
“Vous savez, les maisons d’édition, certaines ont 150 ans. Elles sont là, elles se battent”. Au téléphone, Vincent Montagne garde le cap. En tant que président du Syndicat national de l’édition (SNE), comme en tant que dirigeant du groupe Média-participation (auquel appartiennent Le Seuil et L’Olivier, entre autres), il sait qu’il est devant une crise inédite.
Avec le confinement, la chaîne du livre s’est brusquement figée. Et tout le monde est sous le choc. Il y a d’abord eu le temps des polémiques. A la fermeture des commerces le 16 mars, les libraires ont fait remarquer qu’Amazon continuait à livrer et les éditeurs à les fournir. Aujourd’hui, selon le SNE, la question n’est plus d’actualité.
Vincent Montagne explique : “Les centres logistiques ferment. Techniquement, nous ne fournissons plus Amazon”. Guillaume Husson délégué général du Syndicat de la librairie française (SLF), remarque toutefois qu’“Amazon continue à vendre ses stocks et ceux de ses vendeurs tiers”. Mais force est de constater que de ce côté-là aussi les choses sont pratiquement à l’arrêt. Amazon livre en priorité des produits de première nécessité. Si on peut encore commander un livre sur la plateforme, le délai de livraison indiqué est d’une semaine au mieux. Avec La poste qui a réduit ses services, autant dire que les livres ont carrément cessé de circuler à travers le pays. “C’est l’arrêt de la chaîne, on ne peut pas le dire autrement”, note Françoise Nyssen, directrice d’Actes sud.
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Résultat, les maisons d’édition ont fermé leurs portes et beaucoup ont mis une grande partie de leur personnel en chômage technique, partiel ou total selon les postes et les services. “On essaie de s’adapter à la situation”, résume Jean-Charles Grunstein, directeur des ventes chez Gallimard. Le reste du personnel est en télétravail, déjà affairé à préparer la suite. “Ils veillent à ce que tout soit prêt pour le redémarrage”, explique Vincent Montagne.
Cellule de crise
Le redémarrage est l’obsession de tous, même si personne à l’heure actuelle peut dire quand il aura lieu. Il n’y a pour l’instant pas de stratégie possible pour tenter de compenser des pertes qu’on ne peut même pas encore chiffrer, mais qu’on présume énormes. Tout le travail des éditeurs consiste en ce moment à gérer le décalage des publications dans le temps. Ce qui donne lieu à un casse-tête inédit. Certains titres seront repoussés de quelques semaines, d’autres remis à l’automne voire en janvier 2021. “On ne peut rien fixer pour l’instant, tout est en constante évolution, explique Françoise Nyssen. Nous avions prévu la sortie du Mathias Enard ce printemps, afin de nous démarquer de cette éternelle concentration de la rentrée. On va sans doute devoir le repousser au second semestre”. A situation inédite, solutions originales : “Il est trop tôt pour imaginer des stratégies, explique Vincent Montagne. On pourra peut-être publier en juillet et août, dans des périodes où d’habitude on ne le fait pas. Il y a là un potentiel, d’autant qu’un certain nombre de salariés ne partiront pas en vacances cet été puisqu’ils ont été contraints de poser des congés aujourd’hui”.
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Jean-Marc Levent, responsable commercial chez Grasset, explique : “On parle d’une reprise le 4 mai, donc il pourrait y avoir un premier office le 20 mai, on veillera à ce qu’il soit léger pour ne pas que les libraires reçoivent trop de livres”. La question, aujourd’hui, semble être de faire en sorte que le système ne s’écroule pas. Les éditeurs négocient avec les banques pour décaler leurs charges. “On a obtenu un report des échéances des principaux éditeurs parce que pas mal de libraires n’auraient pu passer le cap de la fin du mois”, explique de son côté Guillaume Husson.
Malgré cela, beaucoup de librairies indépendantes risquent de se retrouver dans de grandes difficultés : “Il est difficile de les chiffrer, estime Guillaume Husson. Fin avril, c’est là où on va avoir la majorité de difficultés de trésorerie. Pour l’instant, on gère l’urgence”. En attendant, dans les maisons d’édition, ceux qui ne sont pas au chômage semblent travailler comme des fous. “C’est impressionnant, confie Jean-Marc Levent. De voir une maison comme Grasset, qui a une réelle énergie. On a finalement retrouvé nos habitudes de travail assez rapidement. Chacun dans notre coin. Avec les moyens de communication d’aujourd’hui qui sont exceptionnels. On n’aurait pas pu faire face comme cela il y a dix ou quinze ans”.
Chez Actes sud, on a créé une cellule de crise : “Pour régler les problèmes des gens, tout simplement, explique Françoise Nyssen. Elle est entièrement dédiée aux salariés, il faut qu’on puisse s’assurer qu’ils reçoivent leur paie, et aux auteurs, qui n’ont pas droit au chômage”. “Je vis au jour le jour, raconte de son côté Jean-Charles Grunstein. Je parle avec les libraires, les représentants. Chacun essaie de réfléchir à ce qui est raisonnable de faire. On risque d’avoir deux mois d’arrêt. On doit repenser complètement le programme. La première chose à faire, c’est chercher de quelle manière on peut soutenir les libraires. Les questions se posent au fur et à mesure”.
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Chez Grasset aussi, la question de soutenir l’ensemble des partenaires semble être au cœur de la réflexion : “De toute façon tout se fera en concertation avec les libraires, affirme Jean-Marc Levent. Il va falloir être plus que jamais solidaires avec eux”. Ici et là, on reconnaît que le milieu mettra des années à s’en remettre. Il est possible que cette crise, en inaugurant de nouvelles pratiques et de nouvelles façons de communiquer, modifie durablement le travail à l’intérieur des maisons et entre les différents acteurs. “Ça va peut-être provoquer une remise en question radicale, juge Françoise Nyssen. Peut-être que nous devrons reconsidérer notre façon de fonctionner. Aller à des choses plus essentielles, peut-être publier moins tout en préservant la diversité”.
Des annulations en cascade
A l’autre bout de la chaîne du livre, les écrivains. Ils doivent recevoir leurs droits d’auteurs annuels en avril, comme chaque année les comptes sont soldés fin mars. Il n’y aura pas de souci de ce côté-là, assure Vincent Montagne : “Nous allons les payer et nous recommandons également de payer les à-valoir même si les sorties sont retardées”.
Ce qui n’empêche pas certains auteurs d’être dans une situation compliquée. “Nous sommes noyés d’appels d’écrivains très inquiets”, affirme Patrice Locmant, directeur de la Société des gens de lettres (SGDL). Le principal problème réside dans les annulations en cascade de salons, résidences d’écriture et rencontres en milieu scolaire. Beaucoup de romanciers vivent de leur droits d’auteur mais aussi de ces interventions rémunérées. Plusieurs mesures ont été décidées dès la semaine dernière.
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Le Centre national du livre a annoncé qu’il maintenait ses subventions aux salons qui en contrepartie doivent verser aux auteurs les rémunérations prévues. Pour les salons qui ne sont pas subventionnés par le CNL, mais par les collectivités locales, c’est le grand flou. “On leur a demandé de maintenir les rémunérations mais rien n’est certain”, explique Patrice Locmant. Pour les interventions en milieu scolaire, la Maison des écrivains (MEL), qui les finance en partie, s’est engagée à maintenir une ses engagements, on ne sait si le Ministère de l’éducation fera de même. La semaine dernière, le Ministère de la culture a débloqué 5 millions d’euros pour le monde du livre, soit les éditeurs, les libraires et aussi les auteurs. On ne sait pour l’instant comment sera répartie cette somme. Visiblement, elle pourrait servir en partie à accorder des aides d’urgence aux auteurs les plus fragiles, sous la responsabilité de la SGDL. Mais rien n’est décidé pour l’instant.
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