Traduit pour la première fois en français, ce roman de Frank Harris revient sur l’attentat de Haymarket Square, à l’origine du 1er Mai, et nous plonge dans le Chicago de la fin du XIXe siècle, en pleine effervescence sociale et politique.
A la fin du 19e siècle, le Nouveau Monde ouvre ses bras à toute la misère du monde. Parmi les immigrés qui débarquent à New York, avides de conquérir l’Amérique et persuadés qu’il fait meilleur vivre outre-Atlantique, un jeune Allemand cultivé et sans le sou, Rudolph Schnaubelt. C’est le narrateur de La Bombe, roman de Frank Harris paru en 1908, et traduit pour la première fois en français aux éditions La dernière goutte.
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Mêlant faits réels et éléments de fiction, La Bombe nous plonge en plein cœur des luttes sociales et politiques qui donnèrent lieu à la fête des travailleurs, le 1er Mai, en compagnie des leaders socialistes et anarchistes américains de l’époque.
L’expérience d’un Chicago au bord de l’explosion sociale
Après avoir fait l’expérience du chômage, puis des terribles des conditions de travail réservées aux ouvriers immigrés sur le chantier du Brooklyn Bridge, Rudolph Schnaubelt réussit à écrire quelques articles pour un journal socialiste new-yorkais. Dégoûté de cette ville en prise aux patrons voyous, il part pour Chicago, curieux de découvrir l’Ouest. Il se fait héberger chez le socialiste George Engel, travaille pour le journal dirigé par l’anarchiste August Spies, et se rend à des réunions socialistes.
Son arrivée à Chicago coïncide avec le moment où la lutte entre patrons et employés atteint son paroxysme. Les travailleurs immigrés surexploités militent pour la journée des huit heures, se mettent en grève, occupent les usines, et sont systématiquement réprimés dans une extrême violence par les forces de l’ordre, qui ont le soutien des Américains de souche et des médias, partisans de l’ordre établi.
Il s’immisce alors dans la « Lehr and Wehr Verein » (Ligue de défense et d’éducation), organisation socialiste d’autodéfense. C’est là qu’il fait la rencontre de Louis Lingg, un anarchiste charismatique, qui aura une influence déterminante sur lui.
Pour présenter Lingg, le narrateur rapporte des bribes de discours qui témoignent des idées avancées de l’époque :
« Nous nous accordions tous à penser que l’Etat devait imposer le salaire minimum, la journée de travail de huit heures et même le droit au travail. Pour Lingg, l’ouvrier qui réclamerait ce droit devrait recevoir de la municipalité ou du gouvernement un salaire minimum que Lingg appelait salaire d’existence ».
Le massacre de Haymarket Square
En parallèle de ces réunions politiques, il travaille pour le Chicago Tribune, pour lequel il doit mettre ses « sornettes socialistes » de côté dans ses articles sur les conflits du travail.
Jusqu’au jour où l’explosion sociale a lieu. Le 1er mai 1886, Spies et Parsons décident d’organiser une grande manifestation dans le cadre de la lutte pour la journée des huit heures : « Projet qui irrita la population américaine et donna espoir aux étrangers. Le destin voulut que toutes les petites grèves soient absorbées en un immense mouvement ». Au moment où la foule se disperse, les policiers prennent d’assaut les travailleurs pourtant pacifiques, faisant un mort et des dizaines de blessés.
En réplique, un rassemblement contre les violences policières est décidé à Haymarket Square le 4 mai. Ce jour là, une fois de plus, les policiers chargent la foule sans raison. Quand soudain une bombe explose au milieu des policiers. En représailles ceux-ci tireront pour tuer, faisant plusieurs morts : c’est le massacre de Haymarket Square.
« Les rêves d’aujourd’hui sont les réalités de demain »
Cette bombe, bien réelle, a été lancée par Rudolph Schnaubelt, dans le roman de Frank Harris. C’est Louis Lingg qui l’a confectionnée, et lui a demandé de la lancer pour ensuite prendre la fuite. Dans le roman, Louis Lingg a ces paroles :
« J’aimerais pouvoir atteindre les maîtres voleurs. N’est-ce pas idiot que de vouloir frapper la main qui agit et non pas le cerveau qui ordonne ? Cependant, l’infamie policière est plus manifeste ; nous n’avons plus le temps de choisir ».
En réalité, l’auteur de l’attentat n’a jamais été identifié. Mais le mouvement ouvrier eut à en répondre lourdement. Les leaders du groupe anarchiste baptisé « Ligue de défense et d’éducation » furent arrêtés. Spies, Engel, Parsons et Fischer furent pendus, tandis que Lingg se suicida en prison. Dans le roman de Frank Harris, celui-ci confie au narrateur ces paroles prophétiques : « N’oublie pas que nos rêves, s’ils sont assez beaux, se réalisent toujours ; les rêves d’aujourd’hui sont les réalités de demain ».
La Bombe, de Frank Harris, éd. La dernière goutte, 301 p., 20€
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