Le trait primitif de Benoît Jacques raconte les angoisses et les états d’âme d’un homme submergé par une rupture amoureuse.
Sénèque aimait à dire que les plus grandes douleurs sont muettes. Or la parole ne reste qu’un moyen, et pas nécessairement le plus riche qui soit, de s’exprimer. Benoît Jacques, au moment de coucher la sienne, pris dans la douleur de la séparation et de la solitude obligée, abandonne de plein gré le verbe pour se lover dans l’image. Il recouvre de ratures les quelques mots inscrits aux premières pages et, dès lors, ne discourt que le trait.
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Brute, n’écoutant que le sentiment du jour, chargée d’émotions comme un nuage d’électricité, sa ligne, tantôt rageuse tantôt nourrie de lumière, est à lire comme le baromètre des états d’âme d’un homme submergé.
Socle d’un journal de fantasmagories et de cauchemars, ce trait primitif endosse par le même geste le double rôle de miroir des angoisses et de purgatoire des sautes d’humeur de la dépression. Seules quelques dates viennent ceinturer des chapitres, uniques marques du réel, frontières d’un journal intime aux périodes délimitées, aux émotions circonscrites, que le dessin brut, s’il est de bonne grâce, devrait se charger de domestiquer.
Ce n’est donc peut-être pas un hasard si l’une des ombres qui hantent à heures régulières cet ouvrage n’est autre que celle de Robinson Crusoé. Cette figure tutélaire de l’isolement est également l’une des rares victimes que les affres de la solitude rendirent, comme le dit fort bien Baudelaire, “religieux, brave, industrieux ; elle le purifia, elle lui enseigna jusqu’où peut aller la force de l’individu”. Il y a clairement de ce combat-là dans l’entreprise de Benoît Jacques, le désir de catharsis par l’écriture, du sentiment consigné sur le papier par le sang, ainsi qu’en témoignent les images subliminales par torrents, où ses doubles décharnés escaladent les gouffres, rampent hors des ventres maternels, déplient les jambes pour avancer, le pénis dressé et le corps fort, à nouveau baignés par la lumière.
L, journal habité par l’absence d’une déesse à jamais évanouie, s’accroche in fine à la vie et aspire à la virilité recouvrée. Il rêve de légèreté et de flottaison, d’effloraison et de changement de saison, telles les aigrettes blanches des pissenlits de la conclusion, petites figures humaines emportées par le vent, abîmées par le sort, mais rendues à la liberté.
L de Benoît Jacques (L’Association), 248 pages, 23€
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