A 30 ans à peine, Adrien Bosc a déjà fondé les éditions du Sous-sol, spécialisées dans le nouveau journalisme. Il vient d’intégrer la direction du Seuil. Portrait d’un surdoué de l’édition.
Parfois, ce sont vos limites qui vous poussent à faire les bons choix. C’est parce qu’il était “nul en anglais” qu’Adrien Bosc est, assez ironiquement, devenu éditeur de littérature américaine. Fils d’architecte monté d’Avignon à Paris pour faire une prépa, il se met à dévorer, pour s’améliorer, des revues américaines. Dans le New Yorker et Harper’s, il découvre une mine de textes longs, de reportages littéraires, des journalistes célèbres aux Etats-Unis au rayon narrative non fiction, un genre encore trop peu connu en France.
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“La narrative non fiction, c’est des reportages qui se lisent comme des romans, des plumes comme Hunter S. Thompson, Joan Didion, Gay Talese, Tom Wolfe”, confie Adrien Bosc, installé sur une banquette du Select, à Paris, où il semble avoir ses habitudes. Costume impeccable, coupe de cheveux raisonnable, Bosc a tout du gendre idéal : une fibre d’entrepreneur et un instinct sûr.
Textes de narrative non fiction
Très vite, il sent qu’il y a un véritable manque en France concernant ces textes de narrative non fiction : “C’est Wolfe qui a théorisé ce type de journalisme dans la préface à son anthologie Le Nouveau Journalisme, où il les réunit tous. Sa préface est vraiment un manifeste qui en déclare les dix commandements : les dialogues doivent être transcrits dans leur intégralité, vous pouvez vous permettre les discours indirects libres, la première personne du singulier, la subjectivité est plus proche de la vérité que l’objectivité. Vous devez camper une scène, vous pouvez même vous autoriser à écrire les pensées des sujets ou les vôtres.
« Bref, c’est mettre les techniques de l’écrivain au service du journalisme. On n’est plus là pour capter seulement la vérité mais pour capter le lecteur. S’il n’y a pas de véritable tradition du nouveau journalisme en France, c’est parce qu’il n’y a pas de revue pour accueillir ce type de reportages, contrairement aux Etats-Unis qui ont le New Yorker, Harper’s, The Believer. Ici, c’est arrivé tard avec Actuel dans les années 1980, ou aujourd’hui avec la revue XXI.”
“Une bibliothèque à peu de frais”
C’est en toute logique en fondant d’abord une revue, Feuilleton, véritable laboratoire où publier ces auteurs, où tester des traducteurs, que Bosc va apprendre le métier. Après des études d’éditeur “où, soyons honnête, je n’ai pas appris grand-chose, c’était même risible : certains profs n’avaient même jamais mis les pieds dans une maison d’édition. Je n’y ai appris que du droit, ce qui est précieux pour un éditeur”, Bosc rencontre Gérard Berréby, le patron des éditions Allia où il commence un stage.
Berréby vient de lancer une collection de petits formats, des livres à trois euros qui connaîtront un succès en librairie. “J’étais déjà un grand lecteur d’Allia, j’adorais leurs livres de musique, comme Please Kill Me de Legs McNeil et Gillian McCain, sur le punk. Il y avait une grande exigence qui n’était pas non plus l’art pour l’art, ce qui m’a toujours effrayé. Allia avait aussi des succès populaires comme Les Miscellanées de Mr. Schott. Mon frère, David Bosc, y a publié deux livres, Sang lié et Milo. Allia comblait mon goût pour la collection. J’aime l’idée qu’on puisse se faire une bibliothèque à peu de frais, avec la Petite collection Maspero pas chère, les livres des éditions Pauvert, Corti. J’adorais la bibliophilie, j’étais un jeune vieux.”
15 000 exemplaires
Gérard Berréby installe le jeune homme de 22 ans dans son sous-sol et le pousse à créer sa propre maison : les éditions du Sous-sol. Bosc se lance dans un tour de table pour récolter les fonds nécessaires à sa création, de Berréby à Pierre Bergé. “Il me fallait réunir 180 000 euros, tout en m’assurant d’être actionnaire majoritaire pour garder le contrôle de la maison. J’ai moi-même emprunté 50 000 euros. Je suis resté quatre mois seul dans ce sous-sol pour réaliser le numéro zéro de la revue Feuilleton.”
Le premier numéro, sorti en septembre 2011, se vendra à 15 000 exemplaires : un succès dans le domaine des revues. Suivra Desports, revue consacrée à des textes sur le sport écrits par des auteurs principalement français. “C’est un texte de Philip Gourevitch, une plume du New Yorker, sur le cyclisme au Rwanda, qui m’en a donné l’envie. Ce qui est bien aux Etats-Unis, c’est qu’il n’y a pas de hiérarchie, contrairement à la France où ça ne paraît pas noble pour un intellectuel d’écrire sur le sport. Il faut voir les pages magnifiques que Don DeLillo consacre au base-ball dans Outremonde.”
En 2013, Bosc fonde la collection Feuilleton non fiction au sein de ses éditions et passe à la publication de livres : son premier opus sera remarqué puisqu’il s’agira de Sinatra a un rhume, un texte phare du nouveau journalisme écrit par le grand Gay Talese, jamais encore traduit chez nous. “Talese est vraiment le pionnier du nouveau journalisme, même s’il ne l’a jamais théorisé. Il a toujours un regard biaisé : on l’envoie faire un reportage sur un match de boxe, il revient avec le portrait du mec qui sonne le gong.”
“Le nouveau journalisme est comme une famille, un réseau d’auteurs, où chacun a sa spécialité”
Mais la vraie pionnière du genre, c’est une très jeune fille qui signa ses reportages à la fin du XIXe siècle : Nellie Bly, dont Bosc a publié 10 jours dans un asile à l’automne dernier. “Je l’ai découverte dans un livre de Dominique Kalifa sur les bas-fonds. J’ai aussi découvert beaucoup d’auteurs dans les notes en bas de page et les appareils critiques des livres. Un auteur renvoie à un autre. Le nouveau journalisme est comme une famille, un réseau d’auteurs, où chacun a sa spécialité : le journalisme d’immersion (undercover), le collage (comme dans Please Kill Me), etc.” Si Hunter S. Thompson le fatigue “avec son côté mec”, de même que Norman Mailer, Adrien Bosc voue une admiration sans faille à la grande Joan Didion.
Grand prix du roman de l’Académie française
Vite repérées par Olivier Betourné, le patron du Seuil, les éditions du Sous-sol sont rachetées en novembre 2014 par l’éditeur. Et aujourd’hui, à même pas 30 ans, Bosc vient d’en rejoindre la direction pour chapoter les départements de littérature française, étrangère, essais. “Quand les éditions du Sous-sol ont été intégrées comme un département du Seuil, ça s’est fait de façon à compléter les départements existants et d’ouvrir le spectre du Seuil avec la narrative non fiction. La collaboration avec Olivier Bétourné s’est installée comme ça, dans un vrai rapport de confiance.”
Grâce à leur entrée au Seuil, les éditions du Sous-sol sont passées de quelques revues et deux titres par an à dix-neuf en 2015 et vingt-trois en 2016. La maison est installée, ainsi qu’Adrien Bosc qui connaît le succès en septembre 2014 avec son premier roman, Constellation, texte dont le classicisme est aux antipodes des textes qu’il aime publier, ce qui lui vaudra de remporter le Grand prix du roman de l’Académie française.
Nouveau nouveau journalisme
Aujourd’hui, s’il publie toujours Gay Talese (lire sa géniale plongée dans la mafia italienne de New York dans les sixties, Ton père honoreras), et poursuivra la publication des œuvres de Nellie Bly dès avril avec son Tour du monde en 72 jours, l’éditeur fait une place de choix aux écrivains du nouveau nouveau journalisme : Susan Orlean, Jane Kramer, Ted Conover, Michael Lewis. Quand on lui demande d’où lui vient, profondément, le goût des textes, Adrien Bosc surprend en disant qu’il doit tout à “une belle grand-mère qui vivait à Montpellier, avait une collection de livres et écrivait des lettres à ses petits-enfants”.
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