Le Festival d’Angoulême rend hommage au mangaka Kazuo Kamimura et à son univers raffiné mais sombre à travers une grande rétrospective, tandis que sort en France “Une femme de Shôwa”.
Né en 1940 à Yokosuka, au sud de Tokyo, et décédé à 45 ans d’un cancer du pharynx, le mangaka Kazuo Kamimura a connu une carrière aussi fulgurante que son dessin – carrière que l’on découvre depuis quelques années en France grâce à une indispensable entreprise de publication de ses œuvres, notamment par les éditions Kana. C’est une rencontre avec le parolier et romancier Yu Aku en 1967 qui pousse ce jeune diplômé des beaux-arts à se lancer dans le manga. Son premier récit paraît en 1967 dans le magazine Gekkan Town, suivi en 1968 par le feuilleton Parada, réalisé avec Yu Aku au scénario. Il publie ensuite des histoires dans les magazines Weekly Manga Action et Young Comic dédiés au gekiga (manga pour adultes, sombres, réalistes et abordant des sujets de société).
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Durant toute sa carrière, Kazuo Kamimura travaille avec des scénaristes – Kazuo Koike (Lady Snowblood), Ikki Kajiwara (Une femme de Showa), Hideo Okazaki (Le Fleuve Shinano)… – mais écrit aussi ses propres récits. Son premier vrai succès arrive en 1972 avec le roman graphique au long cours Lorsque nous vivions ensemble – ou les affres de l’union libre et de l’amour dans le Japon de 1970.
Le peintre de l’ère Showa
Très prolifique, Kamimura réalise au pic de sa carrière entre 350 et 400 planches par mois, entouré de quelques assistants, dont Jiro Taniguchi brièvement. En préface du tome 2 de Lorsque nous vivions ensemble, celui-ci se rappelle comment Kamimura dénotait parmi les mangakas de l’époque : “Ses méthodes n’étaient pas les vieilles méthodes classiques, très directives et autoritaires. (…) Son atelier était un lieu où il était bien plus facile de travailler que dans ceux que j’avais connus auparavant. Je pense que sa personnalité n’y était pas étrangère. (…) Il ne faisait pas preuve d’autorité avec nous, les assistants, bien au contraire, il se comportait avec beaucoup de gentillesse.”
Surnommé le peintre de l’ère Showa (période allant de 1926 à 1989), Kamimura fait entrer la finesse de l’estampe japonaise dans le gekiga. Il excelle à dessiner les femmes, leurs visages, leurs yeux pénétrants et leurs corps parfaits, leur donnant constamment mouvement et légèreté. Comme chez les estampistes, la nature et les éléments – il pleut et neige souvent chez Kamimura – forment de magnifiques décors mélancoliques. Son trait extrêmement raffiné, son découpage virtuose, son sens parfait du cadrage, très cinématographique, avec plongées et contre-plongées, donne à ses récits souffle poétique et lyrisme.
Le Japon de l’après-guerre, entre modernité et poids des traditions
Mais derrière la beauté formelle, les œuvres de Kazuo Kamimura recèlent une réelle profondeur. Il s’est souvent attaché à dépeindre le Japon de l’après-guerre, avec sa société en pleine évolution, happée par la modernisation et le capitalisme mais encore corsetée par le poids des traditions. La jeunesse est désorientée, son insouciance et ses attitudes rebelles se heurtent à l’ordre établi, à une rigidité héritée du passé. Chez Kamimura, le progrès a un prix et ce sont très souvent les femmes qui paient le plus cher. Perpétuellement à la recherche de la liberté et de l’indépendance, en quête d’amour mais désireuses de vivre leur sexualité comme bon leur semble, elles doivent affronter les hommes, les conventions, leurs familles – violentes, incestueuses, indifférentes, ou en plein désarroi, celles-ci n’ont pas le beau rôle.
Kamimura s’est aussi intéressé aux questions de genre à une époque où ce n’était pas courant. La jeune Maria (Maria) couche ainsi indifféremment avec des filles ou des garçons, et sème le trouble aussi bien parmi les élèves que chez les professeurs. Le petit Ginko, meilleur ami du héros de La Plaine du Kantô, est quant à lui travesti en fille dès sa petite enfance et n’arrive pas à se faire accepter dans la société machiste.
Jamais éthérés malgré leur finesse graphique, les mangas de Kazuo Kamimura mettent enfin en scène de façon impétueuse la violence et le sexe, qui semblent aller de pair. Explicites, crues, les scènes de sexe, de combats ou de bagarres sont chorégraphiées avec la même fougue. Aucune fleur de cerisier, aucun flocon, aucune brise marine, ni même les yeux de biche de ses héroïnes, n’arriveront jamais à dissimuler sa vision sombre de l’existence.
exposition du 26 janvier au 12 mars au musée d’Angoulême
bd Une femme de Shôwa de Kazuo Kamimura et Ikki Kajiwara (éditions Kana), 15 €
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