Ils croulent sous les scores de vente et/ou les distinctions. Passage en revue de trois romanciers successful au Japon, pays invité du Salon du livre.
Elle est jeune, incroyablement jolie et pas du tout tombée de la dernière pluie. Née à Osaka en 1976, Mieko Kawakami a d’abord pas mal bourlingué entre sa ville d’origine et Tokyo, a suivi des cours de philosophie, fait l’hôtesse, l’actrice, et chanté dans un groupe de rock (trois albums ont vu le jour). Le succès en 2008 de Seins et OEufs, son second roman, lui a valu le « hype » prix Akutagawa (équivalent du Flore pour les jeunes écrivains). Dans la foulée, le magazine Vogue Japan l’a élue femme de l’année. De minitornade dans le milieu artistico-littéraire, Mieko a sauté avec aisance, dans le même temps, le pas de conteuse singulière.
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Dans ce court roman d’une centaine de pages, tout étonne : la fraîcheur du propos, la vélocité des mots. Et en premier lieu, l’histoire : celle d’une mère venue passer avec sa fille quelques jours à Tokyo chez sa soeur, en vue de pratiquer une mammoplastie. Loin d’être un prétexte, le thème de la chirurgie plastique est exploré à fond, soulevant des questions corollaires : le rapport au corps, le féminin, la maternité. Pourquoi veut-on se refaire les seins ? Pour échapper symboliquement à la misère sociale (en claquant ses maigres économies dans une chirurgie « de luxe ») ? Pour échapper au temps, à soi ? Se faire plaisir ? Ou se soumettre inconsciemment à une vision phallocratique p ro-95B ? Seins et OEufs se collette à des hics existentiels tels que la haine de soi, dans une langue rock et perchée. C’est un charme noir qui opère.
Plus consensuelle : Yôko Ogawa
Moins sexy, et surtout plus consensuelle : la très lue et acclamée Yôko Ogawa. Récompensée par le même prix que sa cadette pour La Grossesse (paru en 1991 chez Actes Sud), la romancière née en 1962 nous a enchantés avec ses romans tissés dans de la soie, sa philosophie champêtre nourrie à l’eau de pluie et à la béatitude esthète. Les Lectures des otages se veut une fable politique autour d’une prise d’otages (huit touristes séquestrés par une guérilla antigouvernementale, qui mourront tous dans l’assaut de la police secrète du pays).
Hélas, la fable édifiante l’emporte sur le reste (un regard sur les méthodes terroristes, le monde contemporain), et il faut se tartiner huit contes postmortem pondus par nos otages – symbole de la toute-puissance de la littérature, bien sûr, puisque même les ravisseurs sont sous le charme. Le bon côté de la chose, c’est que rien ne fâche. Avec son optimisme à toute épreuve, Ogawa nous dit : « Terroristes, victimes de kamikazes, leaders politiques du monde entier, donnez-vous la main car la vie est un poème ».
Le best-seller de Murakami, une énigme
Une romancière un peu trop faste en bons sentiments, autant que l’autre est sulfureuse : deux indicateurs forts qui déterminent aussi le succès d’un livre. Celui de 1Q84, le best-seller de Murakami, demeure à ce degré d’enthousiasme une énigme. Rappelons simplement un chiffre : au Japon, la saga s’est vendue à plus de quatre millions d’exemplaires. Habitué aux cartons (Kafka sur le rivage, La Ballade de l’impossible), Murakami est devenu le roi du pétrole, sans perdre son âme pour autant.
Dans ce troisième volume, les aventures de Tengo, l’écrivain, et Aomamé, la tueuse d’hommes, n’ont rien perdu de leur saveur. A peine ouvert, le roman nous enveloppe de son climat de mystère, son air de polar fantastique avec l’intrusion d’un nouveau personnage : le détective Ushikawa. Et c’est parti pour une longue cavalcade croisée, sinueuse, poétique, à cheval entre deux mondes, sous le regard d’une double lune inquiétante – et de Proust himself. Un page-turner de haute volée.
Emily Barnett
Seins et OEufs de Mieko Kawakami (Actes Sud), traduit du japonais par Patrick Honnoré, 112 pages, 13,50 euros; Les Lectures des otages de Yôko Ogawa (Actes sud), traduit du japonais par Martin Vergne, 192 pages, 20 euros; 1Q84 de Haruki Murakami (Belfond), traduit du japonais par Hélène Morita, 544 pages, 23,50 euros.
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