De passage à Paris avant d’honorer le festival d’Angoulême de sa présence, le Japonais Katsuhiro Otomo est revenu sur la création d’Akira et ses projets en cours.
En évoquant un « sentiment d’irréalité », Nicolas Finet, membre de l’équipe du festival d’Angoulême et spécialiste de l’Asie, a bien résumé l’ambiance générale: le géant du manga Katsuhiro Otomo est en France pour une semaine de festivités et ça reste un peu dingue, presque incroyable. Sacré Grand Prix d’Angoulême il y a un an, Otomo n’a pas esquivé ses responsabilités. Déjà, même si, selon ses dires, il a été très en retard, il a gratifié la 43e édition du festival d’une magnifique affiche, un lavis à l’encre de Chine avec juste une touche de couleur (le rouge de la moto de Kaneda, le personnage principal d’Akira) inspiré de la culture traditionnelle japonaise. « Je voulais vraiment surprendre, que cette affiche soit du jamais vu« .
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Contrairement à son prédécesseur, Bill Watterson, le créateur de Calvin & Hobbes qui ne s’était pas déplacé (ou, du moins, ne s’était pas montré en public), Otomo a décidé de venir et de donner de son temps. Son séjour à Angoulême, après l’annonce du Grand Prix 2016 mercredi, culminera par une conférence-rencontre autour d’Akira qu’il donnera samedi après-midi au théâtre. « D’habitude, je ne fais pas ce genre de choses mais j’ai voulu me montrer reconnaissant de l’honneur qui m’a été fait. Quant à la rencontre, vu que ça sera une première pour moi, je ne suis pas sûr de la réussir« . Humble avec ça…
Lundi après-midi, en amont du festival, le mangaka a donné une conférence de presse à l’auditorium du Louvres. Malgré la barrière de la langue, il a été un parfait invité. « Depuis que je suis venu à Angoulême (en 2003, ndr) c’est un festival qui me fait rêver« . Il a bien joué le jeu, affirmant son amour de la bonne chère – « quand on vient ici, on se doit de boire du vin et de manger du fromage » – et citant plusieurs auteurs français, Nicolas de Crécy, Kerascoët ou Lewis Trondheim. Sans oublier Moebius à qui il a adressé un clin d’œil sur son affiche en incluant le personnage d’Arzach. Otomo n’a jamais tari d’éloges concernant le Français, le remerciant humblement dans les premières pages d’Anthology, collection d’histoires courtes datant des 70’s, évoquant en public un projet avorté.
En revanche, il a poliment esquivé les questions quand elles ne le concernaient pas. Par rapport à l’absence d’auteure dans la liste (désormais caduque) des potentiels Grands Prix, il a d’abord botté en touche: « je ne connais pas les noms figurant sur cette liste ». Puis il a tranché: « la différence de sexe n’a pas d’importance face à l’intérêt des œuvres-mêmes« . Il s’est montré plus disert quand il s’est agi de parler de ses créations ou de son inspiration. « Les mangas et les romans que j’ai lus pendant mon enfance m’ont beaucoup inspiré. Peut-être pas sur le moment… il a fallu un temps de maturation mais mes souvenirs de gamin me servent toujours« . De manière attendue, il a témoigné de son admiration pour les cinéastes classiques japonais, Kurosawa, Ozu ou Imamura.
Bien sûr, beaucoup de questions ont concerné la gestation d’Akira, chef d’œuvre graphique qu’il a lui-même transposé en film d’animation avant même que le manga ne soit terminé – comme Myazaki et Nausicaä de la vallée du vent.
« Quand j’ai commencé à réaliser l’adaptation d’Akira, je n’avais pas encore terminé le manga mais j’avais à peu près décidé de la fin de l’histoire. Pour le film, j’avais une contrainte, celle de faire tenir l’histoire en deux heures. J’ai donc ressenti une sorte de frustration mais, après, j’ai repris la publication du manga et j’ai pu y mettre tout ce que je pouvais (…) C’est un peu curieux mais quand je dessine seul, ça me donne envie de cinéma et de travail collectif. Et quand je travaille sur un projet cinématographique, ça me donne très envie de retourner devant ma planche à dessin… «
L’adaptation d’Akira en film live par le studio Warner – la rumeur annonçait même Christopher Nolan à la tête de cette entreprise de remake un peu inutile – bat vraiment de l’aile. « A l’heure actuelle, je n’ai toujours pas reçu le scénario. Je n’ai pas plus d’informations que ça…Je n’ai pas l’intention d’y participer, si elle se fait, je serai juste spectateur« .
Concernant le don de clairvoyance dont Otomo a fait preuve – dans le film Akira, il a prévu avant le C.I.O. que les JO auront lieu au Japon en 2020 ! – il ne s’emporte pas. « Les gens qui font de la science-fiction n’ont pu imaginer réellement ce que serait l’avenir. Personne n’a pu prévoir l’importance que prendrait le téléphone portable. En raison du progrès des technologies, le présent et le futur que l’on avait imaginé restent bien distincts« . Ce qui n’a pas changé c’est son état d’esprit.
« Mon angoisse vis-à-vis du monde est la même que celle qui était la mienne quand j’écrivais Akira. Les êtres humains ne sont pas des êtres parfaits, c’est pour ça qu’il arrive des événements étranges ou dramatiques. Nous devons faire face à ce monde et cela se reflète dans nos créations ».
Justement, Otomo affirme déborder de projets. Le plus alléchant est certainement le manga qu’il dessine depuis plusieurs années, dont l’action se situe au Japon pendant l’époque Edo (1600-1868). « J’ai un peu de mal à avancer à cause de ce qui m’occupe en parallèle« . Soit un film en prise de vue réelle et un autre d’animation dont il cherche à boucler les budgets. Pas impossible non plus qu’il tente à nouveau, après Short Peace (2013), le film à segments. « Un court-métrage est moins lourd qu’un long-métrage, le succès commercial me préoccupe moins et ça me permet d’expérimenter« . Et si la technologie permet de réaliser certaines séquences autrefois impossibles, il a rappelé les fondamentaux: « les progrès ne vont pas changer ma manière d’écrire, l’avancée de la technologie et bâtir une intrigue n’ont rien à voir« . La leçon d’un maître.
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