Le Grand Prix du 42ème Festival international de la bande dessinée d’Angoulême est historique : pour la première fois, il est attribué à un auteur japonais. Katsuhiro Otomo, maître du manga depuis Akira en 1982 est l’un des premiers à avoir été publié en France, à partir de 1990.
Katsuhiro Otomo, né en 1954, est faussement candide quant aux raisons qui l’ont amené à devenir mangaka : “pour manger”, déclarait-il en 1993. Plus sérieusement, quand il débute à 19 ans, il y a les rêves d’évasion d’un enfant de l’après-guerre, marqué par le cinéma américain fin sixties/début seventies et convaincu que le manga a vocation à dire quelque chose. Alpha et omega de sa carrière, Akira (1982) permettra à Otomo de tout dire, de tout construire et détruire, et ses œuvres de jeunesse n’en sont qu’une répétition générale.
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http://youtu.be/6j6UwmifJYI
Ainsi, Fireball (1979) a déjà sa ville futuriste, ses expériences gouvernementales, son jeune héros aux pouvoirs télékinésiques et la boule de feu du titre prête à tout raser. Inspirée par le roman L’Homme démoli (1952) d’Alfred Bester, cette première incursion en science-fiction est à la fois un hommage et une réaction douce à Tezuka – un ordinateur s’y appelle Atom, clin d’œil à Mighty Atom, le titre japonais d’Astro Boy. C’est un vrai brouillon d’Akira, puisque Otomo s’en désintéresse vite et le laisse inachevé. Mais le trait détaillé et touffu est déjà remarquable.
Domu (1980) sera bien plus constant et réussi : un vieillard y utilise ses pouvoirs psychiques pour pousser ses voisins au suicide. L’arrivée d’une fillette, également douée des mêmes aptitudes, va virer au duel, ravageant la cité HLM où ils vivent. Inspiré d’un fait divers sur une vague de suicides dans une zone résidentielle de Tokyo au début des années 1970, Domu est déjà hanté par les anxiétés urbaines d’Akira et, encore et toujours, ses enfants terribles, “anormaux”. Le vieux méchant est en effet un gosse attardé et l’héroïne, très mature pour son âge, la seule à pouvoir sauver les habitants du coin. Les passages sans dialogues, le découpage y sont dignes d’un storyboard de film – une tentative d’assassinat dans un ascenseur aurait été du pain béni pour le De Palma circa Pulsions, tandis que les pouvoirs psychiques sont juste un prétexte pour dessiner les situations et les cases les plus dynamiques possible.
A côté, Akira sera les travaux d’Hercule (1982-1990), tandis qu’Otomo planche en même temps sur l’adaptation filmée. On comprend qu’il y ait brûlé son énergie créative à bâtir son univers cyberpunk avec ce rythme insensé. En se concentrant sur la réalisation d’anime (Steamboy, en 2004, le court Combustible en 2013…) et avec la naissance de son propre studio MASH Room, Otomo calme la cadence et garde le contrôle créatif. Post-Akira, il scénarise surtout des mangas comme le postapocalyptique Mother Sarah (à partir de 1990), dessiné par Takumi Nagayasu. Sarah Connor ? On y pense forcément avec cette histoire de mère Courage à la recherche de sa famille sur une terre dévastée par une guerre nucléaire. Si Akira tenait du blockbuster, Mother Sarah sent le western spaghetti avec ses scènes parfois étirées plus que de raison (cases encore sans dialogues, combats s’étalant sur cinq pages), l’équivalent du ralenti, mais au style imparable : comme Otomo, Nagayasu aime le détail et les ruines.
« Les mangas sont dessinés avec des symboles prédéterminés »
Lorsque Otomo se remet au dessin sporadiquement, c’est donc pour la récréation, la pause détente, mais avec sa marque. Dans sa copie rendue (Le Troisième Masque) pour l’anthologie Batman, d’ombre et de lumière (1996), il ne peut s’empêcher de glisser ses visions de cataclysme dans l’univers du Chevalier Noir. A ce jour, la dernière contribution sur papier écrite et dessinée par Otomo remonte à 2012 pour le magazine japonais Brutus : il s’agit de DJ Teck’s Morning Attack, huit pages curieuses où un robot clinquant daft-punkien (lâché d’un avion militaire présumé américain) sème choc et destruction dans un village (présumé afghan et repaire de terroristes), avec la bonne humeur d’un animateur ringard de boîte de nuit. Mais dans ce même magazine, Otomo confiait à Takehiko Inoue (l’auteur de Slam Dunk) se remettre au manga pour retrouver la pureté du médium : “De nos jours, les mangas sont dessinés avec des symboles prédéterminés que l’on ne fait qu’arranger sur une page. Ce n’est pas vraiment dessiner, et je ne pense pas qu’on puisse faire des choses significatives ainsi. C’est important de regarder les choses et de les dessiner ensuite.”
http://www.youtube.com/watch?v=qRu112Arjwo
A l’heure où nous écrivons, ce manga est encore en chantier. Le sujet ? Des légendes japonaises de l’ère Meiji à destination des adolescents. “Ça se passe dans les montagnes, donc il n’y a pas de machines.
J’ai du mal à dessiner les sangliers. Il n’y a pas beaucoup de collections disponibles de photos de sangliers, donc je dois mettre le nez dehors et les voir en vrai. Les animaux sont compliqués à faire. Les arbres et l’eau aussi ».
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