La même année, Allen Ginsberg et William S. Burroughs publient des ouvrages en liberté dans un Paris qui leur donne asile.
À Paris, dans les années 1960, un éditeur fomente à sa manière, incognito, la révolution. Avec sa maison Olympia Press, Maurice Girodias édite depuis 1953 des livres en langue anglaise – censurés ou impubliables outre-Atlantique comme outre-Manche. Œuvres érotiques ou pornographiques publiées sous pseudo, Lolita de Nabokov, des livres d’Henry Miller ou Georges Bataille.
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Et puis ces Américains que l’on appelle beat – Gregory Corso, Allen Ginsberg, Jack Kerouac, William Burroughs. Ils vivent au “Beat Hôtel” de la rue Gît-le-Cœur, à quelques rues de la maison d’édition. Détestés aux Etats-Unis où on les considère comme des “rouges”, ils viennent l’un après l’autre trouver asile à Paris, dont ils ont une vision romantique, mener la vie de bohême de leur héros Arthur Rimbaud et de leurs prédécesseurs de la lost generation (Hemingway and Co).
Ecrits au Beat Hotel, édités par Christian Bourgois
Comme le montra l’exposition que le Centre Pompidou lui a consacrée en 2016, l’influence de la beat generation sur Mai 68 fut ainsi fondamentale, variée, profonde. Les beat “performent” leurs poèmes ici ou là, se lient avec l’avant-garde de l’époque, Jean-Jacques Lebel, Jean Genet, sont repérés par certains philosophes (Michel Foucault, Gilles Deleuze).
C’est d’ailleurs cette année-là que sortent en français deux des livres les plus barrés, radicaux et révolutionnaires que produisit le mouvement. Kaddish de Ginsberg et La Machine molle de Burroughs, tous deux écrits au Beat Hôtel, publiés dans un premier temps par Girodias puis sauvés par un autre éditeur admirable, Christian Bourgois, lorsque le premier mit la clef sous le paillasson en 1966.
Un poème dédié à l’oreille morte de Van Gogh
Poussant un cran plus loin sa technique du cut-up, l’auteur du Festin nu donne à ses visions infernales, nourries par l’héroïne, une ampleur et une dimension terrifiantes dans La Machine molle. Malsain, déviant, choquant, on ne saurait dire de ce court roman pornographique dans quelle mesure il eut un impact sur les événements de mai.
Ecrit quasi d’une traite, dans le style de Howl, Kaddish s’adresse pour sa part davantage aux Français. Un poème est dédié à l’oreille morte de Van Gogh, un autre chante les louanges d’Apollinaire depuis sa tombe, un troisième s’insurge contre la guerre du Vietnam.
Le poème-titre, enfin, adressé à sa mère, porte en germe cette critique féroce du capitalisme qui nourrit les soixante-huitards : “Et toutes ces accumulations de la vie qui nous usent – corps, horloges, consciences, chaussures, seins, enfants mis au monde – ton Communisme – Paranoïa transformée hôpital.”
La Machine molle de William S. Burroughs (10/18), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Mary Beach et Claude Pélieu, 218 p., 3,40 €
Kaddish et autres poèmes d’Allen Ginsberg (Christian Bourgois), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Mary Beach, 217 p., 15,20 €
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