Dans “Juste un corps”, Claude Arnaud se dit dominé par un corps qui le mène et malmène jusqu’à ce que l’esclave se rebelle contre son maître en dégainant le glaive de la littérature, grave, drôle, affranchie.
Dans l’Ethique, Spinoza suggère qu’il y a un “incorporel” des corps aussi puissant que l’inconscient de la pensée. Claude Arnaud dans son Juste un corps mêle ses deux spécialités littéraires, l’autobiographie et l’essai, et est travaillé par ce dézonage où son corps à force d’être pensé, réfléchi, représenté, le déserte et le laisse tomber pour vivre sa vie. Un peu flambard, Claude Arnaud écrit : “Je ne suis qu’une conscience en marche.” La forme grammaticale choisie souligne cependant qu’il s’agit d’une certitude par défaut. Pendant ce temps de sa conscience qui marche, son corps le précède sur le chemin : il nait, se développe, fait parfois jouir par tous ses pores, qui, ports pour pores, sont autant des embarcadères que des bassins de radoube et finalement des cimetières marins, puisqu’il finit par faire souffrir et, salopard infiltré, nous lâcher. Ce meilleur ennemi, Claude Arnaud le connait dans ses moindres méandres jusqu’à détailler le long métrage de nos intestins ou les kilomètres de notre réseau sanguin. Il dit, folle espérance : “Je domine mon corps sans jamais le comprendre, tels ces phares qui éclairent tout sauf eux-mêmes.”
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Rite funéraire et hymne à la vie
Claude Arnaud ne fait pas corps avec son corps. Ou du moins avec sa définition de papier cadeau pour emballer nos organes. C’est la belle aventure de ce corps à corps en tête à tête, où, augmenté par des reproductions de tableaux (Le Greco), de dessins (Michel-Ange) ou de photographies intimes ou publiques, s’écrit un corps sans organe, ce fameux C.S.O. revendiqué par Artaud et mis en philosophie par Deleuze et Guattari. Claude Arnaud s’attarde ainsi sur l’embaumement à l’égyptienne qui consistait à vider un cadavre de ses entrailles pour atteindre une matérialité momifiée, censément éternelle. Juste un corps est un rite funéraire à l’ombre de tous ses morts (en particulier les deux frères de l’auteur). Mais païen en diable, c’est aussi un rite de passage, un hymne à la vie. Pour légender la photo de Geneviève sa compagne, superbe réminiscence de Jeanne Moreau dans La Baie des anges de Jacques Demy, Claude Arnaud écrit : “Elle est douée pour le bonheur, j’y travaille avec obstination.” Beau travail cher Claude Arnaud et merveilleux don de soi pour les autres, puisqu’au final vous dites avec humour être un scribe accroupi par sa tache et se faisant un sang d’encre, et nous autres vos lecteurs, des pharaons au paradis des rêves.
Claude Arnaud, Juste un corps (Mercure de France), 112 ps, 15 €.
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