Pendant un an, l’autrice française a fréquenté un hôpital psychiatrique. A travers son observation des pensionnaires et des soignant·es, elle analyse la face cachée de notre société.
“Pourrait-on imaginer des chambres autrement aménagées, moins carcérales, avec la possibilité de diffuser de la musique ?” C’est une des premières interrogations de Joy Sorman, qui, pendant un an, a passé un jour par semaine dans ce qu’elle nomme laconiquement le pavillon 4B, unité de soins psychiatriques dotée de douze lits et d’une chambre d’isolement. Sa réflexion salutaire sur la manière dont sont traité·es les interné·es se construit sur une attention pleine d’empathie portée aux êtres qui peuplent le lieu. Soigné·es et soignant·es, Sorman a su prendre le temps de les écouter, mais aussi de les regarder. Elle nous en offre des portraits d’une poignante humanité.
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Ce n’est pas la première fois que Joy Sorman enquête sur un pan invisible de notre société. Pour rédiger L’Inhabitable (Gallimard, 2016), elle avait longuement interviewé les locataires de logements insalubres. Au pavillon 4B, Sorman passe des heures à observer les corps, traversés par des pulsions de vie ou de mort à l’état brut. On se souvient alors de son roman Comme une bête (Gallimard, 2012), décrivant l’apprentissage d’un jeune boucher. Ce nouveau texte semble se situer au centre de ses préoccupations d’essayiste et son obsession d’écrivaine pour la chair.
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Des voix anxieuses qui nous hantent longtemps
Sorman décortique la loi sur l’hospitalisation sans consentement et rapporte des propos de professionnel·les qui expliquent combien les restrictions budgétaires ont influé sur la nature même des soins. Elle capte leur fatigue, comme celle de cet infirmier qui voudrait bien animer un peu le quotidien des patient·es mais remarque qu’obtenir un simple lecteur de DVD est pratiquement impossible.
L’autrice ne s’en tient pas à un constat conjoncturel et analyse les effets de la violence sociale, les rapports de classe qui sont mis à nu au sein de l’hôpital. Comme le fait remarquer une femme de service : “Ecoutez pas leurs conneries égalitaires. La folie c’est comme se retrouver à la rue, ça ne tombe pas sur n’importe qui. Les riches aussi sont malades bien sûr mais on les voit beaucoup moins, leurs familles les envoient chez un psychiatre de ville trois fois par semaine.”
Avec délicatesse et sans pathos, Sorman sait laisser deviner leurs troubles et leur égarement
Au-delà de l’analyse, ce qu’on retiendra avant tout de ce livre, ce sont ses personnages, comme dans un roman. Les infirmières Mères Courage, qui réconfortent et apaisent, et les malades imprévisibles. Avec délicatesse et sans pathos, Sorman sait laisser deviner leurs troubles et leur égarement. Elle sait dévoiler aussi des histoires qui paraîtraient incroyables si on les trouvait dans une œuvre de fiction : une famille dont tous les membres ont été ou sont internés, ou encore cet homme, la cinquantaine, entré au pavillon 4B à 17 ans. Ils sont autant de rêves brisés, et Sorman intègre dans sa narration leurs voix anxieuses qui nous hantent longtemps. Telle celle de Samantha : “Je voudrais vraiment arrêter les médicaments parce que ma vie est comme une vague aplatie par les médocs.”
A la folie (Flammarion), 288 p., 19 €, en librairie le 2 février
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