[Le journal de confinement de la rédaction] Chaque jour, un journaliste des Inrocks vous raconte sa journée confinée. Aujourd’hui, Nelly Kaprièlian nous raconte le Covid-19 depuis Londres. Mais dans la capitale britannique aucune mesure de confinement n’a encore été prise, et notre journaliste s’enfuit dès qu’elle voit un·e enfant…
#OnResteOuvert : Fermons nos portes, pas nos esprits !
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Ce matin je suis sortie promener mon petit Jack Russell et les gens allaient et venaient tranquillement dans la rue ; l’épicerie italienne en face était ouverte et deux vieux fumaient leur clope sur le trottoir en devisant ; les arbres sont déjà en fleurs, et en voyant les magnifiques magnolias rose pâle, je me disais que ce serait bien d’aller faire un tour au parc cet après-midi.
Non, je ne suis pas en train de décrire mon jour d’avant ni celui d’après : il s’agit bien d’aujourd’hui, deuxième jour de confinement pour les Français, sauf que l’on est à Londres. Et avant-hier, au début de mes vacances à Londres, je pouvais encore boire un verre de vin blanc en terrasse ; hier, je pouvais aller dans trois supermarchés différents – plusieurs rayons de divers Sainsbury’s (la chaîne de supermarchés) étaient complètement vides. Aucune patrouille pour me contrôler. J’ai essayé Tesco dans l’espoir d’y trouver ce que je cherchais, et c’est fou comme les gens continuaient à se parler de près, à faire la queue à la caisse les uns collés aux autres. Depuis trois jours, j’ai envie de leur hurler de garder leurs distances, un mètre ou deux au moins, mais ils me prendraient pour une folle.
L’impression de vivre dans The Truman Show
Or, je ne suis pas folle, je suis française, j’écoute les infos françaises, j’ai suivi l’allocution du président français sur mon portable lundi soir, et j’ai des nouvelles tous les jours de mes ami·es confiné·es chez eux à Paris. Depuis quelques jours, être française en Grande-Bretagne, c’est être coincée dans une méta-réalité, un décalage bizarre. L’impression de vivre dans The Truman Show, dans un décor où des acteurs continuent à faire semblant d’être désinvoltes alors que le reste du monde s’enferme, et s’installe dans un divan pour nous regarder à la télé.
J’ai le sentiment de vivre entre deux mondes parallèles, l’un reflète l’autre, fait écho à l’autre, mais en décalé. Ici, Boris Johnson déclare ce qu’a déclaré Macron, mais avec 24 heures, ou 48 heures, ou 72 heures de retard. Quand Macron répétait « nous sommes en guerre » lundi soir, c’est mardi soir, hier donc, que Boris Johnson martelait « il faut se battre contre l’ennemi ». Sauf qu’affronter un ennemi ou une guerre avec lui aux manettes et pas Churchill, ce n’est pas vraiment rassurant. Johnson, dans un premier temps, a refusé d’exiger que les magasins non nécessaires, les restaurants, les pubs, ferment leur portes, car pas question pour l’Etat anglais d’aider ses entreprises, donc de payer ; au moins le président français aura été cohérent là-dessus : si l’Etat interdit tout ouverture de lieux et de commerces, alors l’Etat dédommage. Il a fallu attendre jusqu’à hier soir que le ministre des Finances déclare sur la BBC que l’Etat était prêt à dédommager les entreprises forcées de fermer.
Un être de petite taille à l’horizon
Et la reine dans tout ça ? Rien, pas un signe ? La femme la plus riche du monde ne penserait pas mettre la main à la poche pour aider son peuple – ils ne le font jamais, m’assure un proche. Les aristocrates ou la grande bourgeoisie anglaises sont déjà partis se planquer dans leurs propriétés des Cotswolds. Pendant ce temps, les écoles restent ouvertes. Jeudi dernier, Macron disait que c’est parmi les enfants et les étudiants que le virus se propage le plus vite. Alors depuis trois jours, je change de trottoir dès que j’aperçois un être de petite taille à l’horizon. Hier, alors que j’emmenais mon Jack Russell au parc, une petite fille a arrêté sa trottinette rose pour le toucher. Je me suis mise à courir. Personne n’avait dû lui faire ce coup-là car elle s’est mise à hurler, rouge de rage : « But I want to play with the puppy ! »
J’attends avec impatience les news de ce soir sur la BBC : le gouvernement britannique va-t-il enfin annoncer des mesures de confinement strict comme en France ? Heureusement que le livre que j’ai emporté avec moi pour les vacances – même si maintenant ce mot n’a plus de sens… – c’est Un lieu à soi de Virginia Woolf, dans la traduction de Marie Darrieussecq, en Folio. Un pressentiment ? C’est sans doute le livre à lire et à relire dans cette période de confinement, où nombre d’entre nous vont se retrouver coincés en famille, et 7 jours sur 7, dans des appartements de taille modeste, voire exiguë. Bien sûr, Woolf n’écrivait pas en pensant à un virus mais au sort des femmes au début du XXe siècle, confinées dans le foyer, dans leur famille, dans leur couple, dans la société, dans le monde entier. C’est un essai féministe écrit par une pionnière de la question. Tiens, à propos, c’est marrant, avez-vous remarqué qu’en quelques jours plus personne ne parle de Polanski ? Bon, allez, je vais sortir le petit Jack Russel avant de reprendre ma lecture. Et avant qu’il ne soit trop tard…
La suite au prochain épisode – d’ici-là, prenez soin de vous et de ceux autour de vous. Et bon courage à tous.
Je vous embrasse (de loin).
Nelly Kaprièlian
A lire aussi : Journal du confinement : jour 1
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