Adepte du deux-roues, le musicien David Byrne explore la psyché urbaine et les mutations contemporaines.
On pourrait y voir un hommage au Che et à son Voyage à motocyclette. Et en effet, il y a un côté révolutionnaire dans le Journal à bicyclette de David Byrne. Sauf que le musicien américain ne prône pas la dictature du prolétariat, mais le sacre de la petite reine. L’ex-leader des Talking Heads a remisé les oripeaux de Psycho Killer (tube culte du groupe) pour enfiler les vêtements sportswear du « cyclo rider ». En tournée, il ne reste pas calfeutré dans sa chambre d’hôtel, mais enfourche son vélo pliant.
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Istanbul, Sydney, Londres, Manille, Berlin, San Francisco… Byrne a sillonné toutes ces villes en pédalant, et consigné ses observations d’abord dans un blog, puis dans ce livre hybride, à mi-chemin entre le carnet de voyages et le manifeste politico-vélocipédique. On tique d’abord devant le propos gentiment utopique : le monde serait tellement plus beau et moins pollué si nous roulions tous à vélo plutôt qu’en voiture. Mais peu à peu, on se laisse séduire par le regard toujours légèrement décalé de Byrne et par son inépuisable curiosité.
Exploration de l’inconscient urbain
Car en réalité, il s’affiche moins en prosélyte qu’en Candide ironique qui interroge ce qui l’entoure. Et le monde vu par-dessus son guidon se révèle nettement plus intéressant que la terre vue du ciel, béatifiée par l’apôtre de l’écologiquement correct, Yann Arthus-Bertrand. Sensible aux résonances entre un lieu et l’âme de ceux qui l’habitent, Byrne procède en psychogéographe et s’inscrit à sa façon, foutraque et impressionniste, dans la lignée d’écrivains comme W.G. Sebald ou Iain Sinclair :
« Nul besoin de scanners ou d’anthropologues pour découvrir ce qui se passe dans le cerveau humain : ses fonctionnements les plus secrets sont disponibles tout autour de nous, et en trois dimensions. (…) Traverser à vélo un tel assemblage revient à surfer le long des synapses d’un esprit global géant… »
Byrne explore l’inconscient urbain, son refoulé : les friches industrielles et les rues à l’abandon de Detroit, une nécropole à Buenos Aires ou un obscur musée du patinage à roulettes à Londres. Il circule dans les marges, à la périphérie.
Etayées par une profusion de références brassant l’architecture, la psychologie, la littérature ou l’art contemporain – de Le Corbusier à Will Self, en passant par Otto Muehl ou Thomas Hirschhorn – et illustrées par de nombreuses photographies, les miscellanées cyclistes de David Byrne offrent un condensé de l’époque, synthétisant ses maux, ses excès et ses mutations. En vrac : le capitalisme, les nouvelles technologies, le terrorisme, l’homogénéisation urbaine.
Qu’il se trouve dans un tripot stambouliote ou au beau milieu du désert australien, ses déambulations le ramènent presque toujours à son pays : les Etats-Unis. Comme si le monde n’était qu’un immense miroir tendu à l’Amérique. Et le reflet n’est pas forcément flatteur. En revanche, l’autoportrait qui se dessine en creux révèle un David Byrne modeste, attachant et éminemment sympathique. On traverserait bien New York, Rome ou Vesoul avec lui. A bicyclette.
Elisabeth Philippe
Journal à bicyclette (Seuil – Fiction & Cie), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par François Landon, 432 pages, 23 euros, en librairie le 18 mai
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