Dix ans après « Les Corrections », Jonathan Franzen revient avec « Freedom », deuxième épopée familiale où chacun est libre… de se pourrir la vie. Le livre sort déjà auréolé d’un immense succès aux Etats-Unis.
Nombre de journalistes, dont l’auteur de l’article de Time Magazine, ont vu dans Freedom un retour à la littérature du XIXe siècle. « Je ne suis pas du tout d’accord, répond Franzen, mais j’ai compris ce qu’ils voulaient dire : une longue histoire qui nous tient sur un très long temps, sur un mode essentiellement réaliste. C’est vrai que je suis un écrivain réaliste et j’ai pour ambition d’écrire des romans qui vont vous tenir éveillé toute la nuit. Je veux que vous preniez le temps de lire mon livre, car avec toutes les autres distractions que nous avons, les autres médias, il faut être actif en tant qu’écrivain pour s’approprier l’attention du lecteur. Mais je viens aussi d’une école moderniste. Les voix et les points de vue mêlés, l’expérimentation temporelle… Je n’arrive à écrire un livre que quand je pressens qu’il pourrait apporter quelque chose de formellement nouveau. Je ne suis pas pour autant dans le postmodernisme. William Gaddis ou Thomas Pynchon, que j’aime, ont écrit des romans en forme de systèmes, où le personnage est secondaire. Lire des auteurs comme Paula Fox ou Mary Alice Monroe m’a montré que la littérature n’était pas forcément un système. Quant à mon écriture, elle n’est pas XIXe : je ne pense plus en termes de scènes.
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Le cliché dans les cours de creative writing aux Etats-Unis, c’est de dire aux élèves : montre, ne dis pas. En tant que lecteur je n’ai pas le temps qu’on me montre, je veux qu’on me dise directement (rires). J’ai ainsi cessé de m’intéresser aux descriptions, à l’apparence des personnages. On écrivait comme ça avant parce que la photo et la vidéo n’existaient pas. »
« Mon roman met en échec toute adaptation filmique »
Le livre collectionne d’ailleurs les longs dialogues, qui rappellent plutôt la forme très contemporaine de la série télé. Franzen en est fan et planche actuellement, avec Noah Baumbach (réalisateur et scénariste, notamment avec Wes Anderson – ndlr) sur l’adaptation des Corrections pour une série sur HBO. « Ils ont besoin de moi pour l’écrire et le développer car mon roman met en échec toute adaptation filmique. Le genre de romans que je veux écrire et lire sont inadaptables au cinéma. »
Seule légère réserve face à cet ample récit, envoûtant par sa lenteur et impressionnant de détails : son moralisme. Tous les personnages finiront par faire le juste choix… « Jonathan est un moraliste dans la pure tradition américaine », analyse Lorin Stein (de la Paris Review), qui a longtemps travaillé chez Farrar, Straus and Giroux, l’éditeur de Jonathan Franzen. « Son background : le Midwest, le protestantisme, les valeurs d’Europe du Nord poussées à l’extrême. Devoir, décence, introspection, une méfiance, voire une hostilité, à l’égard du ‘soi’. »
D’ailleurs, Franzen se dit incapable d’écrire au « je » et définit son livre comme « une autobiographie à la troisième personne ». Et si la clé du succès de Freedom résidait là ? Le lecteur aurait peut-être lui aussi l’impression de lire son autobiographie (écrite par un autre). Car s’il faut avoir eu une famille, avoir aimé, avoir douté, avoir trompé, avoir souffert, s’être trahi, puis être revenu pour aimer Freedom, alors il est bien possible que Jonathan Franzen conquière le monde entier.
Nelly Kaprièlian
Freedom (Editions de l’Olivier), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne Wicke, 718 pages, 24 euros
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