Dans « Le Choix de l’insoumission », Jean-Luc Mélenchon revient sur tout son parcours politique, et sur son programme pour la présidentielle. On y découvre les prémisses de son engagement, et ses talents précoces d’agitateur politique. Morceaux de bravoure d’une jeunesse exaltée.
Le livre est épais – presque 400 pages –, tout comme le récit qui y est relaté. Car Jean-Luc Mélenchon est un bon conteur, maniant l’art de l’anecdote et du détour historique avec précision, et il a une vie bien remplie. Son entretien biographique fleuve avec le journaliste à Marianne Marc Endeweld, Le Choix de l’insoumission (éd. Seuil), en témoigne. De ses premières émotions politiques – à la lecture de l’Histoire de la Révolution française d’Adolphe Thiers à l’âge de 14 ans –, à la construction laborieuse du Front de gauche, en passant par son engagement trotskiste et son rapport à François Mitterrand, pas un combat ni un cheminement de sa pensée n’est épargné.
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Au cours de ces 30 heures d’enregistrement, on découvre le passé de leader lycéen puis étudiant trotskiste de ce brillant orateur, aujourd’hui candidat de « la France insoumise » à l’élection présidentielle de 2017. En se concentrant sur cette seule période courant de 1968 à 1974, le portrait d’un agitateur hors pair s’esquisse déjà, annonçant le bateleur désormais bien connu.
« Nuit Debout avant l’heure »
Le destin de Jean-Luc Mélenchon percute l’histoire dès Mai 68. Il est alors dans le Jura, à Lons-le-Saunier, a 17 ans, et se dépeint comme « un agitateur« , n’hésitant pas à monter sur les tables pour haranguer les autres lycéens.
« Comme le lycée ferme ses portes, nous occupons la Maison des jeunes pendant des semaines et des semaines, nous créons des commissions… Nuit Debout avant l’heure », relate-t-il en faisant un saut dans le temps.
C’est à la rentrée d’octobre 1968 qu’il se confronte pour la première fois à des élections – celles des délégués de classe, une nouveauté. Membre du comité d’action lycéen – de gauche -, il est battu « à plate couture ». Mais l’animal ne se résigne pas. Après avoir lu attentivement le règlement, il se rend compte qu’en obtenant un nombre de signatures suffisant d’élèves, il peut révoquer les délégués, et en élire d’autres. L’adolescent se met illico au travail :
« Pendant les trois mois qui ont suivi, j’ai agi pour qu’on renverse les sortants dans une dizaine de classes ciblées, et à faire élire ceux du comité d’action lycéen. Et dès le deuxième trimestre, victoire. La manœuvre superbement planifiée a fonctionné. Me voici élu et aussitôt président de l’assemblée des délégués d’élèves ! »
Alors qu’il est en terminale littéraire, celui qu’on ne surnomme pas encore Méluch s’avère déjà coriace en politique.
« Il fallait choisir, et j’ai choisi les trotskistes »
Son bac mention assez bien en poche, il débarque à la fac de Besançon en 1969 et adhère à l’Unef à un moment où communistes et trotskistes-lambertistes s’y font face. Le choix entre les deux camps est cornélien. Son récit a posteriori de son ralliement aux trotskistes laisse songeur. Il estime en effet qu’il était finalement plus proche des communistes, qu’il juge alors « plus patriotes » :
« Il fallait choisir, et j’ai choisi les trotskistes. Plutôt par rancune des événements tchèques de l’été 1968. C’est injuste, car les communistes français ont condamné l’intervention. Normalement, j’aurais dû être plutôt avec les communistes, parce qu’ils représentaient beaucoup de choses auxquelles j’étais déjà attaché. En plus, ils me semblaient patriotes, alors que tous les autres ne l’étaient vraiment pas ».
Durant les grèves contre la loi Debré, en 1973, puis dans la lutte des ouvriers de l’usine Lip de Besançon la même année, il se révèle un « leader de masse« , selon ses propres termes :
« Recommencent à la fac les scènes qui étaient celles du lycée, je suis debout sur les tables, les gens me portent pour m’aider à descendre au bas de l’amphi plein à craquer… A partir de là, la technique de combat que je vais mettre au point va être pratiquement toujours la même ».
Il la décrit comme « une sorte de continuum entre l’idée politique et l’action de masse, mais l’action de masse a son autonomie, ses propres leaders ». C’est pourquoi il dit ne pas s’être senti gêné par les réticences de Nuit Debout par rapport aux leaders politique de gauche, lui compris : « Dans la crue du Nil, le plus important ce n’est pas de contrôler l’eau qui monte, mais de savoir utiliser les alluvions qui se déposent. Tout mouvement social féconde notre champ d’existence politique ».
« Ils m’ont appris à me méfier des sauveurs suprêmes »
Celui que ses biographes Lilian Alemagna et Stéphane Alliès ont baptisé « le plébéien » garde un souvenir ému de ses combats de jeunesse. Il raconte d’ailleurs avoir « eu les larmes aux yeux » lorsqu’à 35 ans, alors qu’il était sénateur, le mouvement lycéen « quasi insurrectionnel » contre la loi Devaquet de 1986 a émergé : « La politique est incrustée dans ma mémoire physique ».
Parfaitement à l’aise avec ce passé, il rend aussi hommage aux trotskistes qui lui « ont appris à s’intéresser à tout et à tout le monde ». Il évoque même une leçon qu’ils lui ont enseignée, et que certains de ses contempteurs seront étonnés de lui entendre reprendre à son compte :
« Ce que m’ont appris les marxistes et les trotskistes, c’est à mettre de l’ordre dans mes idées avec la méthode du matérialisme philosophique. Et aussi à me méfier des sauveurs suprêmes. Raison pour laquelle je n’ai jamais cru que je le sois et n’ai jamais été candidat à ce rôle ».
Jeune trotskiste, il traitait les jeunes socialistes de « Mnefiosis« , « les parasites de la Mnef » (la mutuelle étudiante). Après avoir quitté le PS en 2008, il semble parfois avoir renoué avec cette rhétorique peu amène envers ses anciens camarades. La passion politique du jeune Mélenchon semble intacte, encore aujourd’hui. « Finalement, entre toi et moi la différence c’est le niveau des décibels », lui aurait dit Rocard. « Les décibels, c’est le bruit de la vie Michel ! », lui aurait-il répliqué.
Jean-Luc Mélenchon, Le Choix de l’insoumission, Entretien biographique avec Marc Endeweld, éd. Seuil, 373 p., 18€
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